Julia Jean-Baptiste : "J'adorerais créer des ponts musicaux entre la métropole et les Antilles"
C'est l'un des noms qui monte sur la scène pop française. La chanteuse et musicienne d'origine antillaise Julia Jean-Baptiste se produit ce mercredi 14 mai, à Paris, à la Maroquinerie. C'est sa première scène avec son deuxième album "Toujours plaire", sorti début avril

Après Cinerama en 2023, Julia Jean-Baptiste a sorti son deuxième album Toujours plaire le 4 avril dernier.
Native des Lilas en région parisienne, la musicienne, compositrice et chanteuse de 34 ans a grandi à Lyon, mais affiche fièrement ses origines antillaises. Son grand-père, martiniquais de naissance, et sa grand-mère, dont les parents venaient de Guadeloupe et Martinique, ont forgé des références culturelles importantes pour l'artiste qui se dit très attachée à ces îles, singulièrement à la Martinique.
Si son premier album mettait à l'honneur des sonorités caribéennes, le deuxième est davantage rock et porte des messages forts de résilience et d'affirmation de soi. Largement salué par la critique, il a été mis à l'honneur sur France Inter et RFI, et a reçu des articles élogieux dans Les Inrocks, Libération et Marie-Claire. À quelques heures du premier concert de Toujours plaire, à la Maroquinerie, ce mercredi, Julia Jean-Baptiste a accordé un entretien à RCI.
Bonjour Julia, Toujours plaire est sorti le 4 avril dernier sur toutes les plateformes digitales. C'est votre deuxième album après Cinerama en 2023, qui était davantage influencé par votre côté caribéen, peut-on dire que celui-ci est plus rock ?
Julia Jean-Baptiste : Oui, car j'ai une double culture musicale. La culture caribéenne, plus chaude, du côté de mon papa qui est Martiniquais d'origine. Et du côté de ma maman, j'ai grandi en écoutant beaucoup de rock, de new wave, une musique beaucoup plus froide. Sur ce disque, je suis revenue à mes amours adolescentes, qu'étaient le rock, l'énergie, les deux pieds dans le sol et c'est quelque chose que j'aime incarner sur scène. C'est cette énergie et ce côté frontal que j'avais envie de ramener dans ma musique pour le vivre pleinement avec le public.
Dans les thématiques aussi, cet album est différent du premier. Le dossier de presse le décrit comme “frontal”, “guerrier”, on ressent une volonté de puissance.
JJB : Il est sorti d'un moment où je n'allais pas très très bien. La première chanson que j'ai écrite, c'est la dernière chanson de l'album, qui s'appelle “Les Lilas”, qui parle du fait que malgré les tempêtes, la grêle, les éléments qui s'éclatent contre eux, les lilas sont des fleurs qui tiennent, qui restent debout et qui savent que leur couleur va finir par arriver. En écrivant cette chanson, j'ai commencé à écrire d'autres titres, j'ai libéré une sorte de colère que je ne m'étais pas permise de mettre en musique jusqu'ici et ça m'a fait énormément de bien. Tout ce qui en est sorti après, ça a été des choses très animales, où j'ai un peu réglé mes comptes avec mon ex, avec des gens qui m'ont fait du mal, qui ont pu me prendre de haut. J'ai eu besoin de tendre le bras, comme un étendard, en me disant de faire des chansons pour moi et tout ce que j'avais besoin de sortir de ça, c'était de la puissance.
Vous abordez les ruptures, le temps qui passe, le monde qui va mal... Mais tout cela se fait avec beaucoup de poésie et de résilience. Vous aviez cette volonté de rester optimiste malgré ces thématiques parfois sombres ?
JJB : J'ai découvert en moi une part d'ombre ces deux dernières années, que je ne connaissais pas et qui m'a fait très peur, mais je pense que je resterai toute ma vie une éternelle optimiste et que je verrai toujours la lumière, même quand tout est noir. J'avais envie avec ce disque de parler de sujets plus intimes et personnels, des blessures qu'on garde en nous, des empreintes que laissent les gens qui nous font parfois du mal, mais en montrant que ça nous rend plus fort. Je pense profondément que l'être humain est extrêmement résilient et que même quand on a la tête dans le guidon et qu'on pense qu'on ne va pas s'en sortir, on trouve une force. Je ne sais pas d'où elle vient et la lumière finit toujours pas revenir au bout du tunnel. J'avais vraiment envie de mettre ça en musique, que ça soit un fil rouge sur ce disque, de se dire : “on va s'en sortir, ça va aller, nos plaies vont être pansées par le temps”.
Cinerama semblait beaucoup plus insouciant, là où Toujours plaire parait plus pragmatique. Dans la chanson titre, vous dites même : “Qu'on ne puisse pas toujours plaire, moi j'adore ça !”. Cet album c'est aussi une manière de s'affirmer davantage ?
JJB : Le premier album était très tourné vers les autres, car je n'osais pas vraiment parler de moi et de ce qui m'habitait de manière intime. Peu de temps après ce premier disque, j'ai ressenti le besoin hyper fort d'aller plus loin dans les sujets, dans l'intime et dans la singularité qui est pour moi notre plus grande force. J'ai mis du temps, car dans la vie je suis assez entière et déterminée, mais en musique je me suis un peu lissée et je n'osais pas montrer ces facettes que j'assume plus ou moins. Je suis arrivée à un moment où je me suis dit : “je n'ai pas envie de me regarder quand je parle et quand j'écris, j'ai pas envie de prendre le regard des autres comme quelque chose de central. Au contraire j'ai envie qu'on s'en détache.” Je pense que plus on est nous-mêmes, plus il y a de la variété, des odeurs, des couleurs, il y a tout cela qui fait que l'être humain est si fascinant, je trouve, et c'est ce que voulais faire avec ce disque.
Comme on le disait plus tôt, les sonorités sont moins caribéennes, qu'est-ce qu'il reste d'antillais dans cet album ?
JJB : Il y a toujours le groove. Pour moi c'est central dans la musique, ça passe par des percussions caribéennes, par des instruments plus acoustiques, comme une ligne de basse qui nous prend aux tripes. J'ai aussi renoué avec ma voix, elle est plus centrale, plus profonde, plus chaude, plus femme, elle s'excuse beaucoup moins d'être là. Dans les artistes antillais avec lesquels j'ai grandi, il y a des voix de femmes très fortes et puissantes et peut-être qu'on peut retrouver ça dans ce disque. C'est la continuité, ça reste moi-même mais c'est un peu plus froid, mais il faut du froid pour apprécier le chaud, et inversement. J'aime toujours autant la nuance et je n'arrêterai jamais de faire de la musique nuancée.
Cela veut dire que vous pourriez revenir à des projets plus proches de ces influences antillaises ?
JJB : Je ne m'interdis rien. La musique c'est des moments “T”, c'est un éternel recommencement, on revient à nos racines, puis à nos amours adolescentes, il ne faut pas s'empêcher de faire ce qui nous semble bon pour nous.
Au-delà de la musique, vous vous dites très attachée aux Antilles et à ces racines outre-Atlantique, dont sont originaires vos deux grands-parents paternels. Quel lien entretenez-vous avec la Martinique ?
JJB : Je suis très attachée à la Martinique. J'ai une histoire familiale assez particulière. Mon papy est né en Martinique, à Fort-de-France, il est venu dans l'Hexagone à 18 ans pour faire des études, il est devenu un grand politique, il a fait l'ENA et la Cour des comptes (Henry Jean-Baptiste, notamment ancien député de Mayotte considéré comme l'un des pères de la départementalisation, NDLR). C'était un homme noir dans les années 50 qui a gravi les échelons par son travail et sa détermination. Il est retourné des centaines de fois en Martinique, mais moi je l'ai découverte très tard, à 28 ans, et je suis complètement tombée amoureuse de cette île, de la moitié de mon sang, de cette histoire familiale que je voyais parsemée partout. Voir des familles Jean-Baptiste, un garage Jean-Baptiste à Saint-Pierre, ça, ça m'a transpercée, car j'ai grandi en métropole et on m'a toujours demandé si c'était mon prénom ou mon nom de famille et tout d'un coup je me suis sentie appartenir à une famille. J'y suis allée trois fois depuis et j'ai hâte d'y retourner, j'y ai passé des longues périodes, j'y ai de la famille, des cousins et je suis très attachée à la Martinique.
Je sais aussi que vous rêvez de vous y produire.
JJB : J'aimerais trop, ce serait incroyable ! Ce serait d'amener la pop dans ce cadre qui est très fort d'un point de vue familial et de faire se rencontrer les genres. J'adorerais jouer, dans un festival ou dans une salle. Je sais qu'il y a une énorme vie culturelle, qu'il y a plein de projets, qu'il y a une émulsion depuis plusieurs années pour faire rayonner ce qui se passe aux Antilles et je pense qu'il y a des ponts à créer, entre la métropole, la Martinique, pourquoi pas la Guadeloupe et d'autres îles, ce serait incroyable.
En attendant d'aller aux Antilles, vous montez sur scène pour la première fois ce mercredi 14 mai à la Maroquinerie pour l'album Toujours plaire, comment appréhendez-vous cela ?
JJB : Ah la la ! C'est énormément d'émotions. Je suis extrêmement excitée de retrouver la scène, cette sensation unique de chanter ses chansons face à un public. C'est génial ! J'ai hâte de donner vie à ces morceaux que j'ai écrit et composé en pensant à la scène beaucoup, je sortais de la première tournée pour le premier album et je ressentais ce besoin d'amener quelque chose de très vivant, très rock. J'ai hâte de vivre ça avec ces nouveaux titres, il y a des thèmes qui m'animent profondément et j'ai hâte de leur donner vie au-delà de la musique. Je change de tenue aussi trois fois pendant le concert, je vais diffuser des messages, on a crée ce live avec une batteuse formidable qui s'appelle Lola Warin, on sera deux sur scène, donc c'est une création, une mise en scène. C'est beaucoup de travail, c'est mon cerveau qui ne s'arrête jamais de tourner depuis plusieurs semaines, mais j'ai hâte que ça prenne vie, car c'est pour ça que je fais ça, de voir ces chansons vivre dans les yeux des gens et ça restera toujours ce qui m'anime le plus.
La couverture médiatique a été plutôt élogieuse depuis la sortie le 4 avril, vous avez été invitée sur France Inter et RFI, Les Inrocks et Libération se sont montrés élogieux et Marie-Claire vous classe dans les 10 chanteuses à écouter. Est-ce que ça rassure avant d'entamer cette série de concerts ?
Forcément, la manière dont un projet est accueilli ça joue. C'est sûr que ça fait plaisir d'avoir cette couverture de grands médias, après j'ai vraiment fait ce disque avant tout pour moi, pour me réparer du regard des autres, donc je n'ai pas envie de mettre toute ma valeur là-dedans. C'est compliqué de faire vivre un projet, donc je prends toutes les choses positives et je suis extrêmement reconnaissante de cet accueil, mais je sais qu'il y a encore énormément de travail. J'ai juste envie de continuer à créer, en restant authentique le plus possible. Pour le reste on verra.
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