[DOSSIER 4/5] Narcotrafic aux Antilles : la difficile coopération avec les îles anglophones
Le trafic de cocaïne vers l’Europe transite en partie par la Caraïbe. Avant d’accéder aux territoires français, drogues et armes passent par Sainte-Lucie et la Dominique. Pourtant, la coopération pour la lutte contre le trafic des stupéfiants fait face à de nombreux freins.
C’est une première historique. En décembre dernier, un suspect sainte-lucien a été extradé vers la Martinique dans le cadre d'une procédure judiciaire. Le parquet de Fort-de-France ne souhaite pas s’étendre plus en avant sur le sujet mais ne cache pas sa satisfaction de ce premier acte de coopération judiciaire concret avec Sainte-Lucie, qui ne concerne pas une affaire de stupéfiants.
Une pas symbolique important, d'autant qu’avec la Dominique, la situation semble également très mauvaise, comme la décrit Maewenn Henaff, juge d’instruction au tribunal judiciaire de Pointe-à-Pitre :
En matière de commissions rogatoires internationales, les liens sont très difficiles avec la Dominique, qui ne s'engage dans aucune procédure d'extradition ou de coopération vraiment intéressante
Dans le cadre de la lutte contre le trafic de stupéfiants, la coopération n'est donc pas naturelle entre les îles voisines de la Guadeloupe, la Dominique, la Martinique et Sainte-Lucie.
La justice compte beaucoup sur la nomination d’un magistrat de liaison à Castries qui collaborera avec plusieurs pays de la Caraïbe. Clarisse Taron, procureur de la République de Fort-de-France, dessine les contours de ce poste :
Elle sera compétente sur plusieurs États. Un magistrat de liaison, tout comme un attaché de sécurité intérieur, ne fait pas d’actes mais si on a besoin de quelque chose à Sainte-Lucie, on peut l'appeler notamment pour avoir des contacts précis. Cela facilite les relations
L'avis de Dominique Vinsonneau, première vice-présidente du tribunal judiciaire de Fort-de-France lors de son audition devant la commission d'enquête sénatoriale sur le narcotrafic
En d’autres termes, il s’agit de mettre de l’huile dans les rouages avec les autorités judiciaires des États voisins. Pour les magistrats, il s'agit d'une arme de plus pour tenter de contrecarrer les plans de narcotrafiquants.
A LIRE AUSSI Le nouveau Procureur général veut faire diminuer les violences en Martinique
Bonnes relations de renseignements
Contrairement aux autorités judiciaires, la coopération semble mieux fonctionner entre services de sécurité des différentes îles. Alexandre Huguet, le chef de l’antenne de l’office anti-stupéfiants (OFAST) Caraïbes, n’hésite pas à mettre en avant cette bonne entente.
L'unité permanente de renseignement Caraïbes permet la projection régulière à Sainte-Lucie d'enquêteurs français spécifiquement en matière de renseignement dans le domaine des stupéfiants. Des jalons ont récemment été posés en ce sens également avec l'île de la Dominique
Sur le terrain, la gendarmerie de Martinique s’active aussi pour entretenir les liens avec les forces de l’ordre sainte-luciennes.
Le général William Vaquette, commandant de la gendarmerie en Martinique, détaille sa méthode :
Depuis un an, des patrouilles mixtes internationales interviennent à Sainte-Lucie. J'envoie des gendarmes sur les côtes de Sainte-Lucie ou bien à bord des bateaux des garde-côtes de l'île et, en parallèle, j'accueille dans mes unités des policiers de Sainte-Lucie qui patrouillent avec ma brigade nautique. Le dispositif fonctionne bien
A LIRE AUSSI La Martinique et Sainte-Lucie ont fait un pas de plus dans la lutte contre la criminalité
Il en va de même avec la Dominique.
Nos partenaires ont peu de moyens. Or, s'ils ont des problèmes, nous risquons aussi d'en avoir, car nous sommes voisins. Récemment, j'ai envoyé un chien-armes pour deux jours à la Dominique afin d'aider aux perquisitions en cours pour retrouver des armes dérobées lors d'un vol commis au commissariat de police de Roseau. Au mois de mars, j'avais envoyé pendant une semaine un chien-stups pour aider aux perquisitions dans les gangs
Des avancées fragiles
La présence régulière de membres d'organisations criminelles venues des pays anglophones sur le territoire français se trouve bien entendu au cœur des sujets de relations diplomatiques.
Clarisse Taron évoque ainsi le bénéfice d’une bonne coopération pour nos voisins.
S’ils veulent conserver la réputation d’un État sérieux, c’est important de coopérer avec un territoire français
Le ministère des affaires étrangères joue ainsi un rôle important dans ces relations. La justice compte ainsi beaucoup sur le rôle du nouvel ambassadeur de France à Sainte-Lucie.
A LIRE AUSSI Des accords de coopération judiciaire en négociation pour juguler le narcotrafic dans la région
Des projets sont d’ailleurs en train d'être élaborés au niveau des forces de l’ordre :
Un projet est en cours, en lien avec la direction de la coopération de sécurité et de défense, qui relève du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, pour aider la Dominique et Sainte-Lucie à acquérir des chiens-stups et des armes. En effet, la Dominique n'a quasiment rien. Quant à Sainte-Lucie, elle est un peu mieux dotée, mais doit faire face à de nombreux trafics
Auditionné en janvier par la commission sénatoriale sur le narcotrafic, Frédéric de Touchet, chef de mission Mexique, Amérique centrale et Caraïbes au ministère des Affaires étrangères, a salué les avancées dans la région mais si elles restent encore fragiles.
Naturellement, nous sommes en train de négocier avec un certain nombre de pays des accords de coopération judiciaire et pénale. Sur le plan opérationnel, je pense que le dispositif repose essentiellement sur le réseau des Attachés de Sécurité Intérieure, mais beaucoup aussi sur le bureau de l'OFAST, en particulier en Martinique, qui a une antenne maintenant à Sainte-Lucie. La nouvelle qui montre à quel point notre dispositif monte en puissance, c'est d'ailleurs cette nomination annoncée prochaine du magistrat de liaison qui sera basé à Castries, avec une compétence élargie au-delà même de la Caraïbe
En mai dernier, une 5ème session de commission mixte de sécurité franco-dominiquaise s’est tenue à Roseau. Preuve de l’intérêt que porte le Quai d’Orsay à ce sujet.
Échanges avec le Vénézuéla et la Colombie
La coopération contre le trafic de stupéfiants ne s'arrête pas aux îles voisines pour la France et les Antilles françaises. Les pays d'Amérique Latine, notamment le Vénézuéla ou la Colombie, sont évidemment en première ligne.
Les services de renseignements colombiens fournissent régulièrement des informations permettant l'arraisonnement de bateaux suspects dans les eaux internationales.
À LIRE AUSSI « La Combattante » s'exerce aux côtés de la marine colombienne
Quant aux relations avec le Vénézuéla ? Clarisse Taron l'assure, la coopération est efficace :
Quand on a un navire pavillonné, on demande s'ils nous autorisent à arraisonner puis à fouiller le bateau. Ensuite, on leur demande s'ils souhaitent garder leur compétence juridictionnelle. C'est assez bien rôdé. C'est un signe de bonne coopération maintenant. Les Vénézuéliens disent : arraisonnez et fouillez mais on garde l'affaire. Il y avait eu des méfiances antérieures pour leur donner les stupéfiants mais, désormais, nous fonctionnons en bonne coopération. Les stupéfiants sont détruits en présence de l'attaché de sécurité intérieur français à Caracas
Des alliances suffisantes pour contrecarrer les réseaux internationaux ? Difficile à dire. C'est en tout cas une lutte mondiale qui se joue et dans laquelle la Martinique et la Guadeloupe sont aux avant-postes. En lien avec les différentes Nations présentes ou qui interviennent dans la zone Caraïbes : l'Espagne, la Hollande, les Etats-Unis, le Royaume-Uni.
INFOS +
Les Forces Armées aux Antilles au coeur de la coopération
Acteur majeur de la lutte contre le trafic de stupéfiants et de cocaïne en particulier, la Marine Nationale est habituée à travailler en international. Régulièrement, des exercices impliquant les militaires et marins de plusieurs États sont ainsi organisés dans la région Caraïbe.
Après les autorités Colombiennes en janvier, les Forces Armées aux Antilles ont poursuivi, fin janvier et début février, leurs échanges avec les autres grands pays voisins.
Pendant plusieurs jours, les militaires français ont travaillé en étroite collaboration avec les services spécialisés américains, notamment les gardes côtes US et la célèbre agence anti-drogue DEA.
La frégate de surveillance « le Ventôse » a réalisé une patrouille conjointe avec le patrouilleur américain « Richard Dixon » (photo ci-dessous).
Le 18 décembre dernier, une opération internationale et interministérielle a permis l’interpellation de passeurs et la saisie d'1,2 tonne de cocaïne sur un voilier.
À SUIVRE
[DOSSIER] Cocaïne : les Antilles en première ligne
- LUNDI Trafic de cocaïne aux Antilles : un combat sans fin
- MARDI Narcotrafic aux Antilles : la migration des mules
- MERCREDI Narcotrafic aux Antilles : cocaïne, armes et gangs
- JEUDI Narcotrafic aux Antilles : la difficile coopération avec les îles anglophones
- VENDREDI Trafic de cocaïne : ce qu'ont dit les magistrats aux enquêteurs