Procès du déboulonnage des statues : une audience sous le regard de l’histoire

Par 05/11/2025 - 06:15 • Mis à jour le 05/11/2025 - 13:32

Le procès de l’affaire dite du « déboulonnage des statues » s’ouvre ce matin au tribunal correctionnel de Fort-de-France. Onze personnes sont poursuivies pour « destruction de biens appartenant à une personne publique ». Au-delà du cadre judiciaire, ce procès témoigne aussi d'une évolution du regard que pose la société martiniquaise sur son histoire.

    Procès du déboulonnage des statues : une audience sous le regard de l’histoire

En mai 2020, lors des célébrations de l'abolition de l'esclavage, deux statues de Victor Schoelcher seront déboulonnées, suivies, au mois de juillet suivant de celles de Joséphine de Beauharnais et de Pierre Belin d'Esnambuc. À l'époque, l'affaire avait fait grand bruit et l’audience, prévue sur trois jours, ravive un débat sensible en Martinique, où mémoire, histoire et identité continuent de s’entrelacer avec intensité.

Un mouvement global

Pour l’historien martiniquais Gilbert Pago, ces actions s’inscrivent dans une dynamique bien plus large que la seule réalité locale. Selon lui, "le déboulonnage des statues telles qu'il a eu lieu à Martinique, ça fait partie d'un mouvement mondial." Il rappelle que cette remise en question de la mémoire esclavagiste traverse l’ensemble des pays ayant connu la traite négrière et le colonialisme.

Depuis l'abolition de l'esclavage, c'est-à-dire les pays qui ont connu l'esclavage transatlantique, les générations qui sont venues après ont reposé les problèmes de ce qu'avait été toute la période esclavagiste. On a connu ces mouvements, par exemple, aux États-Unis. Il y a eu la négritude, il y a eu le mouvement Back to Africa de Marcus Garvey, etc.

Des revendications culturelles dans la Caraïbe existe aussi. Et, dans les décisions politiques récentes, comme à la Barbade où la place Nelson a été officiellement rebaptisée.

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Plusieurs options

Pour autant, l’historien relève que plusieurs voies s’offraient à la société martiniquaise.

Il y avait plusieurs manières de déboulonner.

Dans certains pays, les statues ont été déplacées vers des musées, avec l'ambition de montrer et d'expliquer l'Histoire. (...) J'aurais été pour qu'on déboulonne, qu'on enlève, et qu'on explique. Car il faut aussi expliquer comment, à ce moment-là, les Martiniquais concevaient les choses.

Et l'historien de rappeler que ces monuments n’ont pas été imposés de l’extérieur : la statue de d’Esnambuc fut financée par des Martiniquais, et Victor Schoelcher est devenu un symbole local, donnant son nom à une commune, à un lycée et à la bibliothèque départementale.

Ça représente un petit peu ce qu'il y avait dans la tête des gens à l'époque et qu'aujourd'hui, les gens veulent voir autre chose.

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Comment écrire son Histoire ?

Au-delà des débats sur la méthode, l’historien insiste sur la profondeur du mouvement actuel. Le renversement des statues, selon lui, est avant tout une étape d’un processus de réaffirmation identitaire.

Le mouvement de l'histoire va dans le sens de la décolonisation, va dans le sens de la fierté, va dans le sens de la conscience noire.

Avec les héritages de la négritude (Césaire), de la conscience noire (Paulette Nardal) ou de la créolité (Glissant), Pago souligne une ligne directrice commune, "la reconquête de l'identité martiniquaise, de l'identité de l'être humain."

Ce procès  met donc en lumière une question fondamentale : comment une société choisit-elle de raconter son histoire ? Faut-il détruire les symboles du passé, les conserver, ou les réinterpréter.


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