Macron : "La République n'effacera aucune trace ni aucun nom de son histoire"
Hier, lors de son allocution, Emmanuel Macron a affiché une position très ferme dans le débat mémoriel autour des symboles esclavagistes présents dans des lieux publics. Une posture qui ne devrait pas éteindre la polémique autour des noms de rues et des statues rendant hommage à des acteurs de la traite négrière et de l'esclavage.
Débaptiser des salles portant le nom de Colbert, enlever sa statue du parvis de l'Assemblée Nationale ou encore modifier le nom des rues portant le nom de l'auteur du code noir ? Non, a répondu hier soir Emmanuel Macron. Si en Martinique comme Angleterre ou aux Etats-Unis des statues de personnages de l'époque coloniale et esclavagistes ont été détruites par des manifestants, le président de la République n'entend pas engager l'Etat dans cette démarche.
"Je vous le dis très clairement mes chers compatriotes. La République n'effacera aucune trace, aucun nom de son histoire. Elle n'oubliera aucune de ses oeuvres, elle ne déboulonnera pas de statues. Nous devons plutôt lucidement regarder ensemble toute notre histoire, toutes nos mémoires", a déclaré le chef de l'Etat.
Emmanuel Macron a préféré mettre l'accent sur la lutte contre les discriminations qui réduisent les chances de chacun à trouver un emploi ou un logement.
"Le déni"
Sur le volet historique, Valérie-Ann Edmond-Mariette, chercheuse en histoire, juge cette position inacceptable. "Je condamne les propos d'Emmanuel Macron", lâche-t-elle. "Il reproduit un schéma que la République a bien trop souvent employé, à savoir le déni. Il décide de porter un masque et d'occulter un débat très important en France et dans les régions d'Outre-mer sur la question de l'histoire et la façon de gérer les héritages coloniaux et esclavagistes", explique l'historienne.
La chercheuse souligne la fracture qui existe entre ceux qui ont subi cette histoire coloniale et ceux qui portent aux nues ses sinistres héros. "On ne peut pas avoir un pan de la population qui se sent insulté, qui est renvoyé à une histoire extrêmement compliquée et douloureuse en permanence et d'un autre côté, une partie de la population qui porte en l'air des figures qui ont été les bourreaux des ancêtres d'une autre partie de la population. Ce n'est pas possible", insiste Valérie-Ann Edmond-Mariette.
Une mission pour les élus locaux
Des propos qui font écho à ceux tenus par Jean-Marc Ayrault, ancien Premier ministre et désormais président de la Fondation pour la mémoire de l'esclavage. Auteur d'une tribune dans le journal Le Monde, l'ancien maire de Nantes, a interpellé le président de l'Assemblée nationale et le ministre de l'Economie et des finances sur la représentation symbolique de Colbert dans ces institutions.
"Je ne suis pas pour éradiquer toutes les statues, y compris de Colbert. Je propose de changer des noms de salles ou de lieux. Par contre, il faut expliquer. Il faut que partout il y ait une plaque pour dire que Colbert a été un grand ministre de l'économie de la France mais en même temps il a été l'auteur du code noir qui est un texte juridique qui établit l'inégalité des races, qui fait que les esclaves sont des biens meubles", précise Jean-Marc Ayrault.
Dans sa tribune, il estime que cette mission de transformation des lieux de mémoire est celle des élus locaux. Jean-Marc Ayrault cite notamment en exemple l'initiative de Sadiq Khan, le maire de Londres, qui a annoncé le 9 juin la formation d’une commission de la diversité chargée de recenser les monuments existants liés à des esclavagistes et ceux qu’il faudrait ériger pour rendre hommage aux figures locales ignorées, noires ou issues d’autres minorités.
Si le maire de Fort-de-France a déjà annoncé le création d'une commission sur la mémoire au lendemain de la destruction des statues de Victor Schoelcher, il faudra observer au cours des 6 prochaines années si d'autres premiers magistrats lui emboîtent le pas.
Pour aller plus loin, écoutez le long entretien accordé par Jean-Marc Ayrault à Clara Vincent :