Attentes fortes et actions mesurées, le chlordécone en débat à l'Assemblée

Par 27/11/2023 - 22:52

Alors que deux propositions de loi sur le chlordécone ont été déposées à l'Assemblée nationale, une séance publique de débat avait lieu ce lundi 27 novembre. Si les associations locales et les députés réclament des mesures fortes, sur les aspects judiciaire et législatif, le gouvernement s'en tient pour l'instant à son plan chlordécone IV.

    Attentes fortes et actions mesurées, le chlordécone en débat à l'Assemblée

Cela pourrait ressembler à une impasse. Pendant une heure, les députés n'ont cessé d'interroger le ministre délégué Philippe Vigier sur la nécessité d'une grande loi de programmation sur le chlordécone, avec des mesures beaucoup plus fortes que celles actuellement déployées par l'exécutif, ce à quoi le représentant du gouvernement a habilement rétorqué en listant les actions engagées par l'exécutif. Idem sur la question du non-lieu, le locataire de la rue Oudinot a eu beau jeu de se retrancher derrière le sacro-saint principe de ne pas commenter les décisions de justice. 

Qu'ont fait les gouvernements socialistes ou de droite qui se sont succédé? Emmanuel Macron a reconnu, c'est un scandale d'État, on a 130 millions d'euros à la clé, on indemnise les victimes, on fait tous les dosages et les programmes de recherche, et on associe les populations et les élus à faire en sorte que l'on restaure la confiance. Et surtout, je me suis engagé à ce que sur les cancers, on aille beaucoup plus vite qu'à l'heure actuelle.

Mais en face des déclarations du ministre, les attentes locales semblent en décalage. Durant la première partie, consacrée aux associations, et durant laquelle se sont exprimés Yvon Serenus, président du collectif des ouvriers contaminés, Philippe Pierre-Charles, porte-parole du Lyannaj pou dépolyé Matinik et Janmari Flower, le président de l'association Vivre en Guadeloupe, ces derniers ont exprimé un sentiment opposé.

« Nous réclamons un plan pluriannuel qui résulte d'une négociation entre l'État, les collectivités locales et la représentation sociale. Il faut un pilotage des réparations par les trois composantes, pour avoir le sentiment que les choses vont changer. Soit nous sortons par le haut, soit personne ne pourra répondre de rien du tout », a notamment alerté M. Pierre-Charles qui craint un embrasement social.

« Autant la gestion du covid était dans la prise en compte de l'intérêt général à long terme, autant celle du chlordécone nous apparait au détriment de l'intérêt général mais au profit de l'intérêt individuel », a de son côté déploré M. Flower.

Les députés veulent une grande loi

Le sentiment est assez identique dans les rangs de nos parlementaires qui plaident pour une loi de programmation chlordécone, ainsi que pour une révision du code pénal, afin de revenir sur la prescription des faits qui a conduit au non-lieu judiciaire. 

Actuellement, deux propositions de lois sont en cours sur ce sujet au Palais Bourbon, l'une portée par les socialistes dont les Antillais Elie Califer, Christian Baptiste et Johnny Hajjar, l'autre par la Gauche démocrate et républicaine, notamment le Martiniquais Marcellin Nadeau. C'est ce dernier qui a été à l'initiative de la séance du jour.

Ce n'est qu'une étape, il faut essayer de nous entourer d'experts pour préciser, améliorer, enrichir notre proposition de loi. L'idée d'un véritable projet de loi de programmation me parait essentiel, mais il y a aussi d'autres éléments... La nécessité d'une autorité indépendante, l'État ne peut pas être juge et partie. Sur les indemnisations, les ouvriers agricoles ont un début d'indemnisation mais c'est largement insuffisant, et puis cela concerne l'ensemble des populations. Les moyens ne sont pas au rendez-vous.

Cet avis est partagé par le Guadeloupéen Christian Baptiste. 

Les réponses ne sont pas à la hauteur des enjeux et des souffrances. Il ne suffit pas de dire que le président à reconnu, reconnaître c'est facile. On ne dit pas que l'État n'a rien fait, mais le retard qui a été accumulé, et surtout on savait les conséquences que ça aurait, c'est un crime d'écocide. Dire qu'on vient reconnaître alors que le tribunal, sous prétexte de prescription, ne juge pas, cela ne passe pas. On est dans un système qui est dépassé, dont on ne saurait être satisfait. Il faut se mettre à la hauteur d'une certaine réparation. 

Membre du même groupe au sein de l'Assemblée nationale, Johnny Hajjar attend des actions fortes de la part du gouvernement. 

Je ne ressens pas ni la conscientisation ni la volonté. Il y a un problème de fond qui peut être réglé avec la volonté. Le premier enjeu est la justice, il faut modifier pour qu'on puisse juger les personnes responsables qui ont été identifiées, aussi bien de l'État que des grands groupes privés, et donc changer les délais de prescription. Le deuxième élément, c'est les réparations, la commission d'enquête de Letchimy est claire, 49 préconisations, il faut les mettre en place avec une autorité administrative indépendante qui puisse faire la coordination, sortir des plans chlordécone I, II, III, IV ou V qui sont des épisodes et des gouttes d'eau dans un océan de souffrance.

D'un point de vue pratique, les députés auront l'opportunité de présenter leurs propositions de loi lors des journées d'initiative parlementaire, surnommée "niches", de leur groupe respectif, en février pour les socialistes, en mai pour les GDR.

Cela dit, l'ampleur du sujet et des discussions qui y seront associés ne permettra vraisemblablement pas d'en réaliser l'examen dans le délai imparti d'une journée. Ainsi, pour Johnny Hajjar, la solution est de convaincre l'exécutif en martelant la nécessité d'aller plus loin sur ce dossier. 

Il faut multiplier les arguments et contraindre politiquement. Je suis un pacifiste, donc je suis contre toute forme de violence, mais je suis convaincu que quand ils prendront la mesure de la réalité, des conséquences et de la gravité, ils sortiront eux-même grandis.

La bataille parlementaire s'annonce donc laborieuse. Trente ans après l'arrêt de l'utilisation du chlordécone aux Antilles, ce lourd dossier est loin d'être refermé.  


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