TRIBUNE - Une députée et des avocats demandent des dispositions pour les détenus
Florence Morlighem, députée de la 11e circonscription du Nord, est l'auteure d'une tribune demandant la libération de certains détenus sous condition dans le cadre de la lutte contre le covid-19. Philippe Edmond-Mariette et Max Bellemare, avocats au barreau de Martinique sont co-signataires de cette tribune.
Prisons
Au nom de l’urgence sanitaire… libres mais sous conditions
Il y a urgence… si nous prenons acte de l’ensemble des mesures de plus en plus graduées prises par le gouvernement pour protéger la population du Covid-19, toutefois nous dénonçons l’insuffisance des mesures pour la population carcérale et avec elle les fonctionnaires de l’administration pénitentiaire, alors que le danger lui est bien réel.
A titre d’exemple, de multiples cas de contamination au COVID 19 ont été identifiés à cette date au sein des 187 prisons françaises :
• 63 détenus ont été testés positifs dans plus d’une vingtaine de Centre Pénitentiaire, 697 sont en confinement sanitaire symptomatique avec placement en quatorzaine ;
• Plus de 377 agents de l’administration pénitentiaire ont été également testés positifs, 1 512 sont en quatorzaine à leur domicile ;
• Des membres du personnel soignant ont également été testés positifs ;
• Trois décès ont été constatés ;
• 44 mutineries sont à déplorées sur l’ensemble des prisons françaises ;
Certes, l’ordonnance du 25 mars 2020 portant adaptation des règles de procédure pénale a prévu une série de mesures concernant les personnes détenues. Mais, cependant, ces dispositions en l’absence de garanties et de moyens, ne peuvent atteindre totalement le but recherché et rendre effective les sorties de détention suffisantes pour permettre l’application d’une vraie sécurité sanitaire.
Aussi, personnels pénitentiaires et prisonniers sont particulièrement exposés à la contamination au Covid-19.
Alors, il y a urgence à intervenir.
De nos prisons surpeuplées, à notre système de santé surchargé, tous deux au bord de l’implosion, l’urgence sanitaire est de considérer l’Humain.
La santé est un droit universel qui doit garantir à chacun à égalité la possibilité de bénéficier du meilleur état de santé possible.
Le détenu est une personne humaine et l’Etat doit lui assurer le respect de ses droits fondamentaux, le détenu est un citoyen, la prison est une sanction sociale, la personne incarcérée demeure un justiciable, elle bénéficie de droits.
La personne incarcérée est placée dans une situation de vulnérabilité et d’entière dépendance.
Le personnel pénitentiaire, par la loi du 13 juillet 1983, bénéficie de droits et de garanties relatifs à la protection et à la santé.
Les autorités publiques et les acteurs décisionnels sont chargés de veiller à la sécurité et à la santé des agents placés sous leur autorité.
Ne pas protéger les hommes et les femmes professionnels de l’administration pénitentiaire ainsi que les détenus qui vivent au quotidien la promiscuité dans un lieu de confinement générera des conséquences sanitaires et morales graves qui alourdiront davantage le bilan de la pandémie.
Quel est l’état de notre droit quand certains citoyens sont placés en garde à vue au titre du non-respect du confinement et d’une pseudo mise en danger d’autrui alors que d’autres sont exposés au danger, lui bien réel, du Coronavirus ?
Non ! Notre République ne peut reléguer ses prisonniers et avec eux son personnel pénitentiaire à l’abandon et leur perte.
Dans de telles circonstances, il convient d’inviter le Président de la République à prendre une forte initiative républicaine en invitant le gouvernement à compléter la loi d’urgence sanitaire du 22 mars dans son volet pénal.
Ce nouveau texte ne fera pas disparaître la condamnation mais dispensera seulement ceux qui doivent effectuer un reliquat de peine et ce jusqu’à 12 mois d’être remis en liberté. En l’état actuel, cela permettra à beaucoup de détenus de ne pas être exposés à un risque de double peine : le COVID 19, et d’assurer pour tous les autres maintenus en détention les conditions d’une vraie sécurité sanitaire.
Ce nouveau texte maintiendra les exceptions prévues par la loi Belloubet : toutes violences notamment racistes et conjugales, les actions terroristes et les crimes.
Dès lors la mise en liberté sera prononcée d’office, les condamnés bénéficiant de cette disposition seront à la sortie de la période de confinement soumis après convocation du juge d’application des peines à toutes mesures utiles et de contrôle nécessaire. En cas de nouvelle infraction, crime ou délit commis dans les 3 ans, le bénéficiaire de cette mesure devra exécuter la nouvelle peine et la totalité du reliquat ainsi obtenu sous réserve des textes d’application des peines en vigueur.
Certes, il y aura surenchère de griefs à l’encontre de cette loi complémentaire, mais elle sera stérile face au péril encouru pour la santé et l’avenir des personnels pénitentiaires, des détenus et, avec eux, de la Nation.
On peut vouloir nier les revendications et célébrer l’institution prison par conformisme, jamais par humanisme, car souvent les hommes sont prisonniers de leur propre esprit.
En ces temps de pandémie, nos prisons sont au bord du gouffre, c’est la vie d’Hommes et de Femmes qui ont fait métier de la sécurité carcérale et de nos semblables défigurés et punis qu’il faut, en urgence, sauver.
Oui, pour ce faire, il faut d’urgence traduire la volonté présidentielle dans un projet de loi complémentaire. D’ailleurs, le Président de la République a déclaré : « le jour d’après, quand nous aurons gagné, ce ne sera pas un retour aux jours d’avant… Beaucoup de certitudes, de convictions seront balayées, seront remises en cause. ».
Nous sommes en « guerre sanitaire », il y a déjà beaucoup de malades, il y a déjà assez de victimes, il y a déjà trop de morts, nous avons l’obligation de tout mettre en oeuvre pour épargner de nouvelles vies.
Ensemble, faisons Résilience.
Florence MORLIGHEM, Députée de la 11e circonscription du Nord
COSIGNATAIRES :
• Maître Michel BENICHOU, Avocat au barreau de Grenoble, Ancien Président du Conseil des Barreaux Européens ;
• Association Nationale des Juges de l'Application des Peines ;
• Maître Henri LECLERC, Avocat au barreau de Paris, Président d’Honneur de la Ligue des Droits de l’Homme ;
• Maître Philippe EDMOND-MARIETTE, Avocat au barreau de Martinique, ancien Député de Martinique, Secrétaire du Conseil Économique Social et Environnementale (CESE) ;
• Maître Christian CHARRIÈRE-BOURNAZEL, Avocat au barreau de Paris, ancien Bâtonnier de l’Ordre de Paris et ancien Président du Conseil National des Barreaux (CNB) ;
• Maître Guillaume COMBES, Avocat au barreau d’Amiens ;
• Maître Julien DELARUE, Avocat au barreau de Lille, Vice-Président de l’Association des Avocats Pénalistes (ADAP) ;
• Maître Hugues VIGIER, Avocat au barreau de Rouen ;
• Maître Marie-Laure FABRESSE, Avocate au barreau de Nîmes ;
• Maître Jérôme GAY, Avocat au barreau de Cayenne ;
• Maître Audrey JANKIELEWICZ, Avocate au barreau de Lille ;
• Maître Ghislain FAY, Avocat au barreau d’Amiens ;
• Maître Herveline DEMERVILLE, Avocate au barreau de Rouen ;
• Maître Emmanuel RIGLAIRE, Avocat au barreau de Lille ;
• Maître Marie FOUQUART, Avocate au barreau d’Amiens ;
• Maître Max BELLEMARE, Avocat au barreau de Martinique ;
• Maître Benoit COUSIN, Avocat au barreau de Lille.