Aux Antilles françaises, la pêche mise à mal par la pollution au chlordécone

Par 26/05/2025 - 13:34

Le chlordécone, répandu en Guadeloupe et Martinique entre 1972 et 1993, est responsable d'une pollution massive et persistante, qui a mis à mal la pêche, aujourd'hui limitée voire interdite dans de vastes zones.

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photo d'archives

Près des côtes de la Guadeloupe, deux zodiacs des autorités s'affairent à remonter des casiers à l'abandon.

Aux Antilles françaises, la pollution au chlordécone, pesticide utilisé dans les bananeraies pendant plus de vingt ans, a mis à mal la pêche, aujourd'hui limitée voire interdite dans de vastes zones.

« Nous relevons ces casiers qui étaient en attente depuis deux ans », faute de navire pour venir les enlever, « car ici, la pêche est soit interdite, soit partiellement interdite », explique Frédérique Ehrstein, cheffe du service action interministérielle de l'Etat et de sécurité en mer pour la Guadeloupe.

Pollution massive persistante

Le chlordécone, répandu en Guadeloupe et Martinique entre 1972 et 1993, est responsable d'une pollution massive et persistante. Sa rémanence dans les sols est estimée à plusieurs siècles et il ruisselle jusque dans la mer, emmené par les rivières ou les eaux de pluies.

En outre, plus de 90 % de la population adulte en Guadeloupe et Martinique est contaminée, selon Santé publique France, et les populations antillaises présentent un taux d'incidence du cancer de la prostate parmi les plus élevés au monde.

Quand la pêche est autorisée, elle est donc réservée aux professionnels et les casiers doivent être clairement marqués comme leur appartenant.

« Les plaisanciers n'ont pas le droit d'(en) poser », rappelle Mme Ehrstein.

Zone de pêche interdite

Cependant des casiers sont toujours visibles, régulièrement repérés par les autorités. Et depuis les berges, certains riverains pratiquent la pêche à la ligne, a pu constater une journaliste, traquant poissons et langoustes et affirmant perpétuer des pratiques traditionnelles.

En 2013, les autorités préfectorales ont réglementé les zones où la pêche était possible en Guadeloupe.

Depuis cette période, une zone près de 200 km du sud de Basse-Terre, identifiée par des balises, est concernée par l'interdiction. De Goyave à Vieux-Fort, il est interdit de pêcher et de commercialiser le moindre produit de la mer, y compris les crabes. Et du sud du Gosier jusqu'à Vieux-Habitants, l'interdiction est partielle.

Une aide de l'Etat

Ces interdictions obligent les pêcheurs « à aller plus loin » en mer, relève Jean-Daniel Barvaut, représentant du syndicat FO Pêche en Guadeloupe.

Mais la pêche locale étant artisanale et côtière, peu nombreux sont les marins à disposer de bateaux et de diplômes permettant d'aller plus au large, malgré les aides disponibles pour renouveler la flotte, expliquent des pêcheurs interrogés.

Pour ces professionnels, une aide de l'Etat d'environ 300 000 euros au total par an est disponible depuis 2022, « en dédommagement de l'interdiction de pêcher dans cette zone », détaille le sous-préfet chargé du dossier chlordécone, Théo Gal.

« Cette aide est touchée par 700 pêcheurs, de manière automatique depuis un an, à jour de leurs déclarations sociales et fiscales », ajoute-t-il.

Dans les zones concernées par les limitations, « il est légal de pêcher uniquement certaines espèces qui ont montré de faibles concentrations en chlordécone », précise encore Frédérique Ehrstein.

Poissons et crustacés tracés

Les poissons et crustacés commercialisés doivent être tracés.

Pour rassurer les consommateurs et assurer une clientèle aux pêcheurs professionnels, le comité régional des pêches a mis en place plusieurs solutions avec l'aide de l'Etat : un facturier reprenant les mentions obligatoires à indiquer pour toute la chaîne de commercialisation, ou encore un macaron d'identification, avec un numéro de matricule remis aux pêcheurs.

Les pêcheurs moins nombreux

Cela n'empêche pas le secteur de la pêche d'être en perte de vitesse en Guadeloupe : selon un rapport de l'Institut d'émission des départements d'outre-mer (IEDOM) publié en 2024, « la production des métiers de la pêche est estimée à 22,1 millions d'euros » en 2020, « soit un quart de moins qu'en 2008 ».

Les pêcheurs sont de moins en moins nombreux : 817 en 2021, contre 1 670 en 2008, une tendance à la baisse « accentuée par le vieillissement et les difficultés de renouvellement de la population du secteur », note ce rapport.

Autre contrainte pour les pêcheurs : les ressources s'amenuisent dans l'océan, à cause des autres pollutions et de la réduction des récifs où vivent poissons et crustacés les plus pêchés.

Les pêcheurs, qui subissent en plus la concurrence des poissons importés (deux tiers de la consommation locale), sont obligés de trouver d'autres sources de revenus. Comme l'entretien des filets anti-sargasses, ces algues brunes qui déferlent sur les rivages caribéens.


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