"Pendant quatre mois j'ai payé et je n'ai pas reçu de voitures", Rudolf Sperl, distributeur de BMW aux Antilles
Propriétaire de AAAM en Martinique et de AAG en Guadeloupe, Rudolf Sperl revient sur les conditions qui ont conduit à la liquidation des sociétés dédiées à la distribution des marques BMW et Mini aux Antilles.
Depuis la fin du mois d'octobre, les concessions BMW de Martinique et de Guadeloupe sont fermées. Elles ont été liquidées par la justice. Une offre de reprise avait bien été formulée par le groupe Aubéry mais elle a été retirée avant la décision du tribunal.
Pour Rudolf Sperl, propriétaire des sociétés et titulaire de la carte de distributeur de la marque allemande, cette issue était inévitable au regard des difficultés que ses entreprises ont rencontré au cours des 9 derniers mois.
En mois de juillet, je reçois un courrier de BMW qui m'informe de sa volonté de transmettre cette carte à partir du 1ᵉʳ mars 2025 au groupe Aubéry. À partir de ce moment-là, il n'y a plus rien qui fonctionne, évidemment. Les investisseurs ne sont plus prêts à remettre de l'argent au pot et les banquiers ne peuvent pas suivre non plus en termes de garantie bancaire et autres. C'est sûr que le COVID et les confinements n'ont pas aidé, mais quelle que soit la société, quel que soit le territoire, on a toujours fait mieux qu'avant. On ne peut pas parler de mauvaise gestion. On ne peut pas non plus parler de problématique d'effort qui n'auraient pas été fait par les uns ou par les autres, puisqu'on l'a fait avec la même équipe. Quand j'ai repris trois années en Martinique, j'ai repris 100% du personnel. Là, aujourd'hui, les conditions ont changé
Il explique avoir continué à investir pour tenter de développer les ventes avant les annonces de la marque :
Ce n'est pas faute non plus d'avoir investi et mis de l'argent dedans. Je veux souligner que je suis caution personnelle sur tout. Au 1ᵉʳ novembre de l'année dernière, j'ai réuni 2 millions d'euros pour investir dans le groupe pour obtenir des véhicules et faire développer les affaires. Malheureusement, deux mois après, on a retiré 3,3 millions de crédits fournisseurs. Pendant quatre mois, j'ai payé et je n'ai pas reçu de voiture. Quand on arrive au bout de ça, on n'a plus de voiture, on n'a plus de cash, c'est compliqué de poursuivre
Reprise ratée et concentration du marché
Rudolf Sperl affirme avoir tout fait pour que la reprise des concessions se passe au mieux
On s'est battu pour qu'il y ait une transmission, on va dire, la plus sereine possible, pour qu'il y ait quand même aussi une transmission des salariés et que l'activité, surtout, ne soit pas interrompue. Malheureusement, ce n'est pas le cas puisque le groupe Aubéry a fait une offre qui l'a retirée trois jours avant l'audience, ce qui fait que le tribunal n'a pas pu faire autre chose que de prononcer la liquidation. Ils ont certainement leur raison. La raison économique, logique, froide, dirait qu'effectivement leur intérêt, ce n'est pas de reprendre le fonds de commerce, puisque l'offre qui avait été faite, c'était une offre de reprise du fonds de commerce, pas du tout de la société avec les dettes. Donc là, ils reprenaient juste les équipes et le matériel, mais pas les dettes. Je ne peux pas en dire plus, mais les logiques économiques font qu'effectivement aujourd'hui, la situation est très différente par rapport à il y a un an. Il y a un an, il y avait encore des concessions qui se vendaient à des prix normaux. Moi, j'ai payé 8 millions d'euros de valeur de fonds de commerce pour ces trois sociétés, il y a quatre et six ans, selon la date de reprise, 8 millions d'euros qui aujourd'hui valent zéro
Pour cet homme expérimenté dans le monde automobile, passé notamment par le groupe Parfait, la filière est en crise. Les opérations de concentration des grands groupes devraient se poursuivre dans notre région :
Vous êtes certainement au courant que le groupe Stellantis a décidé de regrouper toutes ces marques au sein d'un seul distributeur sur chaque territoire. Donc, en Martinique, c'est le groupe Citadelle, ce qui explique que des grands groupes comme le groupe Aubéy ou le groupe Hayot ont perdu des marques. Donc, Aubéry a perdu la marque Fiat, qu'il représentait depuis 60 ans. Le groupe Hayot a perdu Jeep. Le groupe Aubéy perd aussi en Guadeloupe la marque Opel. Donc là, en Guadeloupe, c'est au profit du groupe Loret. C'est un phénomène de concentration. Donc, c'est voulu par les constructeurs. Il s'agit de faire des économies d'échelle parce que l'industrie automobile est en crise. Vous avez vu le plan de licenciement chez Volkswagen. Vous voyez ce qui se passe un petit peu partout. On est arrivé au bout des logiques d'augmentation de tarifs. Les clients ne peuvent plus payer plus. Les taux d'intérêt ont fait que les crédits pour s'acheter un véhicule sont plus élevés, sont plus coûteux qu'avant. Donc, il n'y a plus trop de marge de manœuvre. Donc, on essaye de choisir des distributeurs qui peuvent répartir les coûts