Jean-Louis Garçon, comédien antillais « atypique » et « contemplatif »

Par 11/03/2024 - 12:35 • Mis à jour le 11/03/2024 - 12:44

À l'affiche de "Passeport", la dernière pièce du célèbre metteur en scène Alexis Michalik, au théâtre de la Renaissance à Paris, le comédien d'origine antillaise Jean-Louis Garçon s'installe de plus en plus dans ce milieu artistique très compétitif, en multipliant les apparitions au cinéma, à la télé et donc sur scène.

    Jean-Louis Garçon, comédien antillais « atypique » et « contemplatif »
Crédit Photo : Alejandro Guerrero

Lorsqu'il faut décrire le parcours de Jean-Louis Garçon, on est loin de la trajectoire linéaire de la majorité de ses camarades de scène ou de plateau. Le natif de Sartrouville, en région parisienne, de parents guadeloupéen et martiniquais, n'hésite pas à parler d'une "aventure". S'il est depuis fin janvier à l'affiche de l'un des plus beaux théâtres parisiens, celui de la Renaissance, dans “Passeport”, une pièce portée par Alexis Michalik, l'un des metteurs en scène les plus connus de France (déjà lauréat de cinq “Molières”), le comédien a connu une toute autre vie avant celle de l'artiste.

Cet amoureux de musique a d'abord fait des études brillantes, pour "rassurer les parents", puis a commencé à travailler chez un géant de la cosmétique avant d'embrasser ce tournant, il y a une quinzaine d'années, à 30 ans passés, avec un chemin qu'il décrit comme "atypique". 

J'ai rencontre le théâtre par hasard. Après avoir travaillé pour rembourser mes études, j'ai été en mesure de prendre des vacances et je me suis posé la question de ce que je voulais vraiment faire. Première chose qui m'est revenue à l'esprit, c'est ma mère qui me disait petit : ''pourquoi tu ne fais pas du théâtre? De la danse?''. Je n'étais jamais monté sur une scène et la seule école que je connaissais, c'était le Cours Florent, alors j'ai cherché sur Google. J'ai trouvé un stage d'été, et j'ai été piqué !

Télé, ciné et théâtre

"Dans le bain à la bonne température", comme il le dit lui-même, le Francilien a progressivement plaqué tout le reste pour les planches d'abord, puis les plateaux... jusqu'à jouer pour la télé, personnage récurrent de la série "Astrid et Raphaëlle" sur France TV, voix off de la chaîne Arte, au cinéma dans le dernier film d'Olivier Nakache et Eric Toledano, et donc sur scène avec les plus grands noms du théâtre parisien. La progression rapide d'une éclosion tardive, mais l'expérience de la vie joue selon Jean Louis Garçon. 

C'est à 80% à mon avis ce qu'on amène sur un plateau de cinéma, de télé, ou une scène. J'avais un très vieux professeur qui me disait que ça prend 20 ans de faire un acteur, et c'est pas 20 ans de technique, c'est de vivre des choses, de travailler tout court, donc j'ai encore du temps, c'est cool !

Jamais rassasié, d'ailleurs même après plus de 10 ans de métier, l'acteur reste émerveillé par son quotidien. 

À chaque fois, je me demande comment je suis arrivé là. Il y a cet émerveillement et cette incompréhension qui ne me quitte pas et c'est plutôt quelque chose que j'ai envie de garder. 

Les Antilles à coeur

Même s'il a grandi et vit en région parisienne, Jean Louis Garçon garde un lien fort avec les Antilles, où ses parents sont d'ailleurs revenus vivre. Quand on lui demande ce qu'il y a d'Antillais chez lui, le comédien l'affirme avec fierté.

Mes parents m'ont transmis la langue, le Créole. Je ne sais pas si c'est Antillais, mais j'ai un sens très prononcé de la famille, presque du clan. J'ai aussi un amour du piment (rires). Et puis, j'ai un amour de la capacité qu'à l'oeil à parfois se projeter vers une ligne d'horizon, à ne pas aimer qu'il y ait quelque chose qui casse, je suis un contemplatif.

D'autant que la présence de figures antillaises dans ce monde cinématographique ou théâtral demeure largement minoritaire, un constat que regrette Jean-Louis Garçon.

Je porte un regard sur la diversité de la France telle que je l'ai connue en grandissant en banlieue, telle que je la vois dans la rue et telle que parfois je m'étonne de ne pas la voir sur les grands écrans, les petits écrans et les scènes de théâtre. Les Antilles, c'est une terre de brassage, que ce soit les communautés indiennes ou asiatiques aussi, pour moi la représentation de tous est importante au-delà de ma couleur ou mon origine. Cela m'interpelle beaucoup, moins on a de représentation, et moins en tant qu'enfant on est capable de se projeter et de se dire qu'on peut le faire. Clairement, il ne faut pas s'interdire de rêver !

Rêveur et ambitieux, Jean-Louis Garçon ne s'interdit rien non plus. Il sera jusqu'au 30 juin au théâtre de la Renaissance pour "Passeport" puis en tournée ensuite, avec l'espoir de faire voyager la pièce aux Antilles. Et après? L'atypique comédien antillais nourrit d'autres envies, tournées vers l'horizon porteur, peut-être, de projets

Continuer à devenir meilleur de projet en projet, et un rêve peut-être de raconter un jour une histoire, à mon tour. Ce serait chouette.

"Passeport", une pièce puissante

Dans "Passeport", Jean-Louis Garçon s'inscrit dans une forme de continuité. Après avoir joué récemment dans "Sizwe Banzi Is Dead", pièce qui traite de l'identité à l'époque de l'"apartheid" sur-africain, ou précédemment d'avoir incarné Nelson Mandela dans une comédie musicale intitulée "Madiba", le comédien se retrouve à questionner l'identité de l'étranger arrivant en France dans cette pièce d'Alexis Michalik, pour qui il avait déjà joué dans "Intra-Muros". Cette fois, l’œuvre raconte le parcours d'un Érythréen, qui a perdu la mémoire dans la jungle de Calais, ne se retrouvant qu'avec son passeport pour seule identité et le suit dans sa quête pour obtenir un titre de séjour.

C'est un récit sur l'identité, sur le dénominateur commun à tous les humains, c'est-à-dire la dignité qu'on recherche et à laquelle on a normalement le droit. C'est aussi une pièce sur le voyage, le voyage qu'on fait vers soi, vers l'étranger qu'on a en soir, vers l'étranger géographiquement... Tout m'a plu : le personnage, le texte, l'intention de l'histoire dans sa globalité. Je sortais d'une pièce qui traitait d'identité en plein apartheid en Afrique-du-Sud, et donc ça s'est inscrit dans une continuité de recherche artistique, philosophique et personnelle sur ce que c'est d'être opprimé, défini en tant qu'être humain par le regard de l'autre, et parfois par un bout de papier. Comment s'en sortir pour devenir nous-mêmes? Qui on est? Et l'affirmer?


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