Violences en Guadeloupe : tous coupables !
La Guadeloupe est-elle condamnée à être violente ? Les derniers faits-divers tragiques ont amené Thierry Fundéré à se poser la question. Analyse.
Non, les faits de ces derniers jours n’ont pas replongé la Guadeloupe dans la violence. Elle y baigne constamment. Dans notre grande passivité, nous nous y sommes habitués. Quant aux autorités et à la classe politique locale, elles assistent avec la même impuissance au triste spectacle. Pour reprendre une expression chère à un de nos élus, est-il normal qu’alors que notre archipel se souvenait il y a peu, des conditions dans lesquelles le jeune Yohann Equinoxe, avait été poignardé à mort il y a un an, aux abords de la cité scolaire de Baimbridge, que deux autres lycéens comme lui, aient failli connaître le même sort le mercredi 22 novembre à la sortie des cours, blessés à coups de ciseau ?
Est-il normal que le racket n’ait jamais cessé aux abords de ces établissements, ni les trafics en tout genre ? Est-il normal que des petits délinquants, tous meurtriers potentiels, à l’affût de leurs proies vulnérables rodent en toute impunité autour de ces lycées ? Est-il normal que des profs mais aussi des élèves, soient roués de coups, que ces scènes insoutenables soient filmées et diffusées sur les réseaux sociaux, montrant d’autres lycéens hilares, témoins de ces faits d’une extrême gravité.
Non ce n’est pas normal. Et pourtant cette violence qui gangrène désormais notre société, jusque dans les sanctuaires que sont censés incarner ces lieux de transmission du savoir, ne semble plus choquer personne. A défaut de l’apprivoiser, nous vivons et j’ose, nous faisons corps avec. Tout cela n’est rien de moins que la conséquence d’une défaillance collective. Celle de l’incapacité des familles à user de leur autorité pour rectifier très vite ce qui doit l’être et sur la durée, pour éviter que leurs enfants ne basculent dans la délinquance. L’on préfère trop souvent hélas, démissionner et renvoyer la faute à la société. Celle aussi d’un pays de Guadeloupe intrinsèquement violent, dans les foyers, dans les couples, dans le monde du travail, dans les relations interpersonnelles, au volant sur nos routes, sur WhatsApp et d’une manière générale sur les réseaux sociaux.
La violence appelle la violence. Plus encore lorsqu’aucun discours politique suffisamment crédible ne vient interpeller et éveiller durablement les consciences avec le mot juste, la parole profonde. L’image projetée de la plupart d’une classe politique guadeloupéenne, tous partis confondus, qui brille davantage par ses algarades (encore une expression de violence), que par sa capacité à s’attaquer aux vrais malaises de notre société guadeloupéenne achève d’alourdir le décorum. Carriéristes dans leur trop grande majorité, plus enclins depuis des années à gérer leurs rémunérations, plutôt que de s'attaquer avec courage aux maux et malaises. Projet guadeloupéen, états généraux, assises des outre-mer, assises de la famille, rien n’y fait, puisque rien ne change.
Et la responsabilité de l’Etat dans l’affaire. Evidemment qu’elle est pleinement engagée. Il n’est pas inutile de rappeler que la sécurité des biens et des personnes, le maintien de l’ordre public, sont des compétences régaliennes. Où sont les moyens nécessaires que réclament les policiers depuis tantôt dans la ZSP couvrant l’agglomération centre ? Quid de l’action de nos puissants relais politiques locaux auprès du gouvernement pour la mise en œuvre d’une vraie politique sécuritaire en Guadeloupe ? Que dire aussi de la lutte contre l’immigration clandestine ; à la lumière des audiences du tribunal correctionnel de Pointe-à-Pitre, de tous ces prévenus dominicais, dominicains, saint-vincentais et sainte-luciens également, jugés après avoir commis leurs méfaits et qui sont entrés sur le territoire en toute illégalité et surtout armés, comme on peut aisément le supposer ?
La violence en Guadeloupe dans son expression la plus variée, c’est de même le stress imposé par les barrages routiers de toutes sortes et autres opérations escargot, qui auront sans doute bientôt pour motifs de simples conflits de voisinage au rythme où vont les choses, au mépris de la liberté de circuler. Alors oui, avec ce constat, la Guadeloupe semble être condamnée à être violente. Plus encore si l’immobilisme et fatalité se posent en dogme.
Faut-il qu’un lycéen meurt chaque année aux abords de son établissement pour que les choses bougent enfin ? L’on peut se poser la question face à une telle inertie. La Guadeloupe est la parfaite illustration du paradoxe de la grenouille. Elle sur-réagit par à coup avec des réflexes de survie, comme la grenouille que l’on plongerait dans une casserole d’eau bouillante. L’animal ne meurt pas car il saute immédiatement en dehors du récipient. En revanche, si vous mettez la même grenouille dans une casserole d’eau froide, que vous portez lentement à ébullition, elle meurt sans réagir au danger. C’est là tout le paradoxe et surtout ce à quoi s’expose notre société guadeloupéenne.