"Qualité de service dégradée", "gestion défaillante" : la Cour des Comptes étrille la CGSS Martinique
Organisme majeur dans la gestion de la santé des Martiniquais, la Caisse Générale de Sécurité Sociale fait l'objet un rapport au vitriol de la Cour des Comptes. Les magistrats pointent du doigt des manquements dans le fonctionnement mais aussi au sein du conseil d'administration de la structure.
Les conseils d’administration successifs ne respectent pas l’ensemble des règles en vigueur et ont abusé de l’utilisation des moyens de l’organisme
Voici ce que disent en résumé les magistrats de la Cour des Comptes au sujet du fonctionnement du conseil d'administration de la CGSS Martinique.
Plus précisément, on apprend dans un rapport publié ce mercredi 30 octobre que l'actuel président du conseil d'administration, Paul-Emile Beausoleil, bénéficie de matériel de travail (téléphone portable, ordinateur pour son bureau, d’un ordinateur portable, imprimante, tablette et de caméras et haut-parleurs pour son ordinateur). Des dépenses qui peuvent être associées à des rémunérations qui ne sont pas prévues par le code de la sécurité sociale.
Par ailleurs, de 2018 à 2023, la période analysée par les magistrats, la direction de la CGSS a débloqué plus de 28 000 euros à destination du conseil d'administration, en plus des indemnités autorisées par la loi. Ainsi le rapport liste :
17 000 euros de cadeaux aux administrateurs, dont 5 760 euros pour des parapluies en février 2022 et 3 265,85 euros de draps de bain en janvier 2023. La caisse finance aussi régulièrement des petits-déjeuners, déjeuners et cocktails au profit des administrateurs, à l’occasion de diverses réunions, pour une somme totale de 6 718 euros depuis 2018
Une ancienne présidente, Eliane Chalono, a aussi bénéficié du remboursement de la réparation d'une montre de luxe à hauteur de 540 euros.
En 2018, c'est un véhicule d'une valeur de 32 000 euros qui avait été affecté à la présidence du conseil d'administration alors que les textes ne prévoient que des remboursements de frais de déplacement.
Le fonctionnement du CSE également pointé du doigt
Le rapport de la Cour des Comptes relève également les transferts de fonds effectués par les membres du Comité Social et Économique. Ainsi pour assurer le fonctionnement de la structure qui emploie 5 agents, la direction du CSE a récupéré 200 000 euros en 2023 sur le budget alloué à l'action sociale et culturelle (ASC).
Un transfert qui dépasse largement le plafond légal qui rend possible ces transferts à hauteur de 10% du budget dédié à l'ASC.
Malgré les recommandations des magistrats à ce sujet, les membres du CSE n'ont pas donné de suite favorable, avançant le risque d'une possible grève
Les élus du comité indiquent en revanche ne pas pouvoir réduire la masse salariale afin de mettre fin à ce transfert budgétaire des activités sociales et culturelles en faveur de celui du fonctionnement du comité, au risque d’un conflit social au sein de la CGSS
Par ailleurs, depuis 2017, le CSE a fait facturer auprès de la direction de la CGSS 550 000 euros d'expertise. Des dépenses sur lesquelles la direction n'a aucun droit de regard.
Mauvaise qualité de service
La mission principale de la Cour des Compte vise à évaluer la qualité du service rendu aux usagers en contrepartie des dépenses engagées. Et là encore, le compte n'y est pas si l'on en croit les remarques des magistrats.
En moyenne, en 2023, la CGSS traitait les dossiers de demande de retraite en 183 jours, soit des délais supérieurs de près de 60 % à la moyenne nationale. Les délais de traitement des dossiers d’allocation de solidarité aux personnes âgées (6 mois), versée aux retraités ayant de faibles ressources, particulièrement nombreux en Martinique, ainsi que ceux des pensions de réversion (9 mois) sont deux fois plus élevés que la moyenne nationale
La caisse maladie n'est pas en reste.
S’agissant de l’activité maladie, de 2018 à 2023, les indicateurs n’ont pas connu d’amélioration, plaçant ainsi la caisse parmi les dernières du réseau de la branche quant à la satisfaction des usagers [...] La partie la plus critique a concerné le traitement des feuilles de soins papier. En 2022, le stock à traiter représentait près de 25 000 feuilles de soins papier, dont au moins 20 000 ont été considérées par la caisse, selon une interprétation biaisée du droit en vigueur, « forcloses », c’est-à-dire non remboursables au terme du délai légal de deux ans et trois mois, faute de traitement par la CGSS. De plus, les assurés concernés n’ont pas été prévenus
Selon les estimations de la CGSS, les 3000 feuilles de soins encore non traitées représentent plus de 300 000 euros.
Concernant le traitement des 3000 exploitants agricoles, la Cour des Comptes avance le transfert de cette compétence vers des caisses de l'Hexagone au regard de la mauvaise organisation du service et de son inefficience.
Ressources humaines et gestion des marchés publics défaillants
Les magistrats ont également mis en lumière d'importantes difficultés dans la gestion du personnel de la CGSS. Avec 923 agents en 2023, la caisse de Martinique est l'une des mieux pourvues par rapport à la population desservie.
Néanmoins, c'est la nature des missions effectuées par les agents qui est remise en cause par la Cour des Comptes :
Les fonctions dites « supports » sont surreprésentées au sein de la CGSS de Martinique (comme dans l’ensemble des caisses générales) par rapport aux caisses hexagonales. Les dépenses de gestion administrative ont augmenté de près de 3 M€ entre 2020 et 2024, pour s’établir à près de 81 M€ 104, dont près de 84 % sont constituées par des charges de personnel (68 M€). À titre d’exemple, les directions en charge de « l’innovation et du développement » (98 agents en 2023) et celle chargée de l’action sociale (94) sont chacune mieux fournies en effectifs que la direction en charge des retraites (84)
Les magistrats soulignent néanmoins que les rémunérations au sein de la CGSS de la Martinique restent parmi les plus faibles des CGSS.
En revanche, sur la question des heures de travail réalisées, on note un déficit de près de 25%. Concrètement, un quart des heures de travail des agents de la CGSS ne sont pas effectuées.
En 2023, sur l’ensemble des heures qui auraient théoriquement dû être réalisées, 20,3 % étaient manquantes. Avec un coût horaire moyen de 36,62 €, ces heures non réalisées représentent une perte budgétaire très significative, de l’ordre de 21,8 M€ pour les seules années 2022 et 2023
Sur la question des marchés publics, l'institution en charge de surveiller les dépenses publiques est là aussi sans pitié.
Plus de 11 % des dépenses liées à la commande publique ne sont pas couvertes juridiquement par un marché ou une mise en concurrence
Ce sont les marchés liés à la sécurité et au nettoyage qui sont notamment visés par les magistrats. Des augmentations de dépenses à hauteur de 10% ont été observées en dehors de toute procédure légale.
Vers une mise sous tutelle ?
Dans son rapport, la cour des comptes formule 11 recommandations pour remettre la CGSS sur les rails. Outre le transfert de la gestion des exploitants agricoles, la juridiction préconise un redéploiement des salariés pour favoriser l’accueil des administrés mais aussi de s'assurer que les membres du conseil d'administration soient en règle avec la sécurité sociale et de cesser de leur attribuer des cadeaux.
Si les magistrats évoquent dans leur conclusion une mise sous administration provisoire, ils estiment que la CGSS peut encore être sauvée par « un nouveau projet collectif, fondé sur un comité de direction, un organigramme et des processus internes profondément renouvelés, désormais indispensable pour que la CGSS puisse rendre le service fondamental qu’elle doit aux assurés et aux cotisants ».
Ils demandent également un plan d'action « vigoureux et immédiat «. Créée en 1947, cette institution spécifique dans les Outre-Mer est-elle sur le point de disparaître dans son fonctionnement actuel ?
Ci-dessous, la réponse de la CGSS aux observations définitives de la Cour des Comptes. Cliquez ici si vous n'y avez pas accès.
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