Comment l'extrême-droite fait-elle son nid en Martinique ?

Par 21/04/2022 - 15:06

L'historien Gilbert Pago a tenté de répondre à cette question au micro de Cédric Catan.

    Comment l'extrême-droite fait-elle son nid en Martinique ?
@fb Gilbert Pago

Une question sur bien des lèvres après presque 20 000 voix cumulées pour Marine Le Pen et Eric Zemmour au 1er tour de la présidentielle en Martinique, alors qu'en 2012, le Front national culminait à peine à 7 000 voix.

On est donc loin des mouvements Marine Dewo et des manifestations pour empêcher à Le Pen père d’atterrir en Martinique. Alors comment expliquer cette progression sur notre territoire ? En quoi ce vote n’est plus tabou ?

Pour l’historien Gilbert Pago, il ne faut pas fustiger cet électorat mais plutôt chercher à comprendre comment on en est arrivé là. Et pour lui, c’est en grande partie à cause de la méconnaissance, ou de l’oubli, de notre histoire, y compris récente, peu enseignée. 

Il rappelle en effet qu'il y a déjà eu un régime d'extrême-droite en Martinique, "an tan Robè" : la triste époque de l'Amiral Robert.

Beaucoup de nos libertés avaient été supprimées. On avait dissous les municipalités et mis d'office à leur tête des membres de grandes familles békés. Le Conseil général aussi avait été dissous et remplacé par un conseil local dirigé par la même oligarchie. Un traitement analogue avait été réservé aux syndicats et aux partis politiques, en particulier le Parti communiste, et on avait bien sûr interdit toute velléité nationaliste avec une grande répression qui avait conduit à l'importante révolte de juin 1943.

Seulement les gens qui s'en souviennent, déplore encore l'historien, ont plus de 80, voire plus de 90 ans. Une génération et sa mémoire qui sont en train de disparaître.

On voit pourtant ce que l'extrême-droite peut encore donner au pouvoir aujourd'hui, de Donald Trump à Jair Bolsonaro en passant par Viktor Orbán. Des exemples terribles qui confirment la destruction des libertés, des communautés indigènes et des minorités. Il faut donc expliquer que l'extrême droite n'est pas une solution. Nous sommes mécontents pour le chlordécone, les sargasses et nos nombreux problèmes spécifiques, mais la solution n'est pas de "sòti an sann pou tonbé an difé" (sortir de la cendre pour tomber dans le feu).

Il demeure que l'extrême-droite française, et en particulier Marine Le Pen, s'est efforcée de convaincre l'électorat qu'elle avait changé. Pour les jeunes générations, son parti, le Rassemblement national, peut ainsi paraître aussi respectable qu'un autre.

C'est pourquoi il faut vraiment écouter ce que dit Marine Le Pen. Elle déclare par exemple qu'en situation de bavure, la police sera systématiquement considérée en légitime défense. Une posture qui doit nous faire réfléchir quand on pense à l’affaire Keziah Nuissier. Quand elle dit ensuite que le voile sera supprimé, elle ne tient pas compte du fait que dans une société créole comme la Réunion où la population musulmane est très importante, le voile fait partie intégrante de la culture. Quant aux augmentations de salaires annoncées, qui se feraient au détriment des taxes, c’est directement la protection sociale qu'elle attaque, notamment les retraites. Et on pourrait continuer comme ça longtemps ... 

L'adage veut qu'un peuple qui oublie son passé se condamne à le revivre. Un point de vue partagé par Gilbert Pago qui milite depuis toujours pour un traitement et un enseignement plus critique de l'histoire, non seulement de l'esclavage, mais aussi de la reconstruction.

Écoutez l'entretien dans son intégralité ci-après :

Rendez-vous dans les urnes samedi prochain, 23 avril 2022, pour le second tour de cette élection présidentielle.

 


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