Haïti: l'ONU s'alarme du risque que les gangs s'emparent de toute la capitale
Tout nouveau retard dans le déploiement à Haïti de la mission internationale de soutien à la police pourrait permettre aux gangs de "s'emparer" de la totalité de la capitale, s'est alarmé mercredi le secrétaire général de l'ONU, dénonçant aussi les "ratés" de la transition politique.

N'étant "toujours pas déployée" pleinement, la capacité opérationnelle de la mission internationale d'appui à la sécurité (MMAS) menée par le Kenya est "limitée", a déploré Antonio Guterres dans un rapport publié mercredi, appelant à la renforcer "immédiatement", en personnel, en matériel et en financement.
Parce que "le temps presse", a-t-il insisté.
"Tout retard supplémentaire ou toute lacune opérationnelle dans l'apport d'un soutien international à la police nationale (...) fait courir le risque d'un effondrement catastrophique des institutions nationales de sécurité. Les gangs pourraient ainsi s'emparer de l'ensemble de la zone métropolitaine (de Port-au-Prince), ce qui entraînerait l'effondrement complet de l'autorité de l'Etat", a-t-il mis en garde.
"Haïti continue de faire face à des défis majeurs qui menacent plus que jamais la sécurité de la population et la survie même de l'Etat", a reconnu de son côté le ministre haïtien des Affaires étrangères, Jean-Victor Harvel Jean-Baptiste, lors d'une réunion du Conseil de sécurité de l'ONU.
Le Conseil avait donné son feu vert en octobre 2023 à la MMAS pour aider la police haïtienne, dépassée par la violence des gangs.
Mais seulement quelque 800 policiers de six pays ont été déployés progressivement depuis l'été dernier, sur les 2.500 espérés. Et les attaques des gangs, qui contrôlent déjà selon l'ONU 85% de la capitale, ne semblent pas avoir faibli depuis.
Selon le Haut commissariat des Nations unies aux droits de l'Homme, au moins 5.601 personnes ont été tuées dans le pays pauvre des Caraïbes l'an dernier, soit 1.000 de plus qu'en 2023.
Objectif 2026 "compromis"
Dans ce contexte, les Etats-Unis, sous la présidence de Joe Biden et relayant une demande des autorités haïtiennes, avaient réclamé l'été dernier une transformation de la MMAS en opération de maintien de la paix de l'ONU.
Mais face à l'hostilité de la Chine et de la Russie, le Conseil de sécurité a demandé à Antonio Guterres un rapport sur cette question d'ici fin février.
Alors que les observateurs s'interrogent sur la politique de l'administration de Donald Trump sur ce dossier, la diplomate américaine Dorothy Shea a simplement déclaré mercredi "attendre avec impatience" les options du secrétaire général "sur le rôle que l'ONU peut jouer" dans cette crise.
"Maintenant plus que jamais, la situation sécuritaire doit s'améliorer", a-t-elle ajouté, appelant les donateurs internationaux à accroître leur soutien à la MMAS.
Le ministre haïtien a lui répété l'"exigence stratégique" de transformer la mission en opération de l'ONU.
Antonio Guterres a d'autre part déploré dans son rapport les "ratés du processus politique" en Haïti, qui ont "contribué à créer un climat ayant rendu possibles ces atrocités".
Dans ce contexte, "l'objectif de rétablir les institutions démocratiques d'ici à février 2026 est compromis", a-t-il estimé.
Sous pression d'attaques concertées des gangs, l'ancien Premier ministre Ariel Henry avait démissionné en mars 2024, laissant la place à un conseil présidentiel de transition qui a déjà limogé un Premier ministre en novembre.
Voyant malgré tout des "progrès sur le front politique", la représentante spéciale de l'ONU dans le pays, Maria Isabel Salvador, a regretté mercredi "une fragmentation" de ce conseil qui "complique le processus".
"Des accusations graves de corruption contre trois membres du conseil ont renforcé les tensions et remis en question la légitimité de ses actions", a-t-elle noté.
S'adressant aux membres du Conseil de sécurité, elle a également insisté sur la situation humanitaire qui atteint des "niveaux alarmants".
"Plus de 6 millions de personnes -- près de la moitié de la population -- a besoin d'aide humanitaire", plus d'un million sont déplacées, et près de 2 millions souffrent d'insécurité alimentaire grave, dont 6.000 personnes en condition de famine, a-t-elle souligné, précisant que l'ONU a lancé pour 2025 un appel aux dons de 908 millions de dollars destiné à aider 3,9 millions d'habitants