Le couvre-feu dans les territoires français d'Outre-Mer, ou comment l'exceptionnel se répète

Par 15/11/2024 - 13:30

Des émeutes aux Antilles à l'état d'urgence en Nouvelle-Calédonie, les nuits sous couvre-feu se sont multipliées ces dernières semaines, signe d'une difficulté pour le gouvernement français à endiguer un phénomène de délinquance ou de violences quasi-insurrectionnelles dans ces territoires éloignés de Paris.

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Photo d'illustration

Nécessité pour rétablir l'ordre selon les autorités, cache-misère pour d'autres, ces mesures de police administrative interdisant à circuler la nuit se sont banalisées en cas de problème, alors que cette restriction à la liberté d'aller et venir reste l'exception en métropole.

La Nouvelle-Calédonie, où une réforme contestée par les indépendantistes et aujourd'hui abandonnée a déclenché des troubles sans précédent, vit ainsi sous couvre-feu depuis six mois.

La mesure s'appliquait initialement à la seule agglomération de Nouméa, de 18h à 06hdu matin, couplée à d'autres interdictions comme la vente d'alcool. Imposée le 14 mai après des heures de pillages et d'incendies de bâtiments publics, elle a été élargie à l'ensemble du territoire et sans cesse reconduite, quoique récemment allégée.

Dans un contexte très différent, d'autres territoires français d'outremer, débordés par la délinquance et l'insécurité dans un contexte de pauvreté élevée, recourent au couvre-feu.

À Mayotte, pour lutter contre les vols

À Mayotte, île voisine des Comores dans l'océan Indien, la mairie de Bandrélé l'a décrété pour lutter contre les vols.

En Guadeloupe, dans les Antilles, le préfet a enclenché la mesure en avril pour les mineurs à Pointe-à-Pitre, devenue "coupe-gorge" selon le maire. Il l'a ensuite étendu en octobre à d'autres communes après de nouveaux troubles et une insécurité aggravée par des coupures d'électricité.

En Martinique, autre territoire antillais, les autorités ont répondu mi-septembre à un mouvement social contre la vie chère par un couvre-feu sur une partie du département, et étendu partout un mois plus tard pour contenir une reprise des violences.

"Tout le monde comprend la nécessité de mesures exceptionnelles pour ramener l'ordre", explique Didier Laguerre, maire de Fort-de-France, chef-lieu de Martinique, "soulagé que ça permette d'apaiser le situation".

Le couvre-feu a été aménagé dans sa ville pour être moins pénalisant pour l'activité économique, les restaurants, les concerts et autres loisirs, puis levé le 5 novembre.

"Le couvre-feu à lui tout seul ne règle pas le problème" et "on a aussi besoin de renforts de sécurité, de moyens d'investigation au quotidien", dit-il, et "quand le couvre-feu nocturne dure, c'est problématique".

« Violences beaucoup plus graves »

Apparue au Moyen-Age pour éviter les incendies, le couvre-feu a été activé en France à de rares occasions dans l'histoire récente, de l'occupation allemande à la guerre d'Algérie, aux émeutes de 2005 ou la pandémie de Covid-19.

Depuis 2022, il y a une multiplication des couvre-feux, notamment concernant les mineurs, relève Marie-Odile Diemer, maître de conférences de droit public à l'université Côte d'Azur, mais cela reste très ponctuel en métropole, comparé aux territoires d'outremer.

Dans ces territoires, "les événements éclatent dans des dimensions qui semblent sans commune mesure avec l'Hexagone", "les considérations économiques et sociales sont différentes et les violences apparaissent beaucoup plus graves car assimilées à l'ensemble du territoire", dit-elle.

L'ampleur des dégâts, les armes utilisées, le risque latent suffisent à motiver un prolongement.

"Si les couvre-feux peuvent être très ponctuels, ils sont répétés du fait que des problèmes ne sont pas réglés", estime Mme Diemer, selon qui cette mesure est activée "automatiquement, comme un parapluie" et "cache tout ce qui n'est pas fait, notamment les mesures de prévention et d'éducation".

La justice saisie aux Antilles

Aux Antilles, la justice a été saisie pour vérifier que le couvre-feu n'était pas abusif.

Mais en la matière, la jurisprudence est "impressionniste" et "c'est vraiment du cas par cas", résume Roseline Letteron, professeur de droit public à l'université de La Sorbonne. Le caractère insuffisant des forces de police dans un territoire donné est un élément d'appréciation, dit-elle.

"Le couvre-feu n'est pas à rejeter par principe à condition qu'il soit proportionné, évidemment, et surtout, qu'il soit accompagné des moyens de le faire respecter", insiste Olivier Nicolas, premier secrétaire de la Fédération socialiste de Guadeloupe.

"Le couvre-feu sans les moyens de le faire respecter, c'est quasiment la liberté donnée à nos délinquants d'agir", ajoute-t-il, voyant dans l'embrasement en Guadeloupe le signe "qu'il faut autre chose". "La population est contrainte, mais les solutions aux problèmes ne sont pas là pour autant".


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