3ème Table Ronde sur la Vie Chère : le récit d’une journée marathon à la CTM
« Une journée historique », « un moment important » : plus de trois semaines après le début de « l’injonction » à faire baisser les prix lancée par le RPPRAC, l’ensemble des acteurs a échangé et avancé ses propositions. Voici ce qu’il faut retenir.
Jamais deux sans trois. Finalement, la troisième table ronde a été la bonne.
Ce jeudi, les militants du RPPRAC (Rassemblement pour la Protection des Peuples et des Ressources Afro-Caribéennes) ont assisté jusqu’au bout, sans cacher, à certains moments, leurs désaccords.
La première partie de la réunion a été publique et la seconde, plus technique, filmée, n’a pas été retransmise en direct, mais pourra être diffusée par la suite.
Pour Rodrigue Petitot, président du RPPRAC, les choses ont toujours été claires.
On a toujours été prêts. C’est juste la configuration qui n’était pas bonne. Aujourd’hui, c’est le moment de commencer à travailler pour le peuple.
À ÉCOUTER Rodrigue Petitot, au micro de Jessica Dantin-Haustant
C’est Serge Letchimy, saluant « un moment historique pour la Martinique », par l’ampleur de la difficulté et de la crise qui date de très longtemps », a ouvert les échanges. Il a rappelé, dans une intervention de 7 minutes 40, que les revendications sont légitimes.
Dans l’enceinte de Plateau Roy, il a indiqué vouloir des débats apaisés pour arriver à une solution.
Il nous faut à la fois faire baisser les prix, il y aura des divergences bien sûr, mais ce qui est encore plus important, c’est si ce moment nous permet d’avancer vers une mutation et une autonomie alimentaire
Le président du conseil exécutif a présenté cette réunion, comme « une première étape ».
Lui embrayant le propos, le préfet de la Martinique, Jean-Christophe Bouvier, a planté le décor de la situation du coût de la Vie Chère.
Il a rappelé les engagements de l’État pour ses territoires insulaires, évoquant notamment les prix réglementés du carburant…
La solution est complexe et ne peut faire l’objet de simples injonctions. Elle est sensible car elle touche à des équilibres. Avec le travail de tous , la Martinique peut puiser en elle pour trouver les solutions
À l’issue de sa déclaration, Aude Goussard, la secrétaire du RPPRAC a été la troisième personne à s’exprimer. Elle a choisi de le faire dans sa langue maternelle, en créole.
Chacun a, ensuite, pris la parole : les députés, les acteurs de la grande distribution, ou encore le directeur général de la CMA-CGM, par exemple.
La deuxième partie de la réunion a été consacrée à la formation du mécanisme des prix proprement dite et aux solutions envisagées pour réduire les coûts..
La suppression de l'octroi de mer
Les axes prioritaires ont été évoqués lors de la seconde partie de la réunion, plus technique. D’abord, la suppression de l’octroi de mer sous conditions.
Justin Pamphile, le président de l’association des maires de Martinique, qui a présenté la veille une étude sur cette taxe, en profite pour réagir. Il défend l’octroi de mer.
Ce n’est pas une taxe qui permet l'enrichissement des communes
Il espérait que sa suppression serait le dernier levier proposé par la CTM. « L'octroi de mer n’est pas le fond du problème »
Rodrigue Petitot s'exprime à son tour et interpelle Justin Pamphile sur son rejet de la proposition de la CTM. Il se dit déçu et regrette que seules 54 familles de produits soient retenues.
Le RPPRAC, dans son injonction, a bien parlé de tout l’alimentaire. Mes premiers produits de première nécessité ne sont pas ceux de M. Parfait ou ceux de mon fils ou ceux de Aude Goussard. On reste à notre place, on ne va pas débattre de l’octroi de mer et, ou de TVA.
Le RPPRAC tacle la posture de l’association des maires et pointe du doigt l’utilisation de l’octroi de mer, censé servir au développement des communes.
Ça sert à payer les cantines, répond Justin Pamphile. On va le retirer 3 ans et on va voir comment ça va se passer
La suppression de la TVA
Deuxième sujet : la suppression de la TVA, qui passerait de 2,1 à 0%. La proposition a été envoyée à Paris. Elle doit être étudiée en passant par la douane et Bercy avant que le 1er ministre n’évoque les grandes lignes de sa politique générale.
Jean-Christophe Bouvier souligne avoir eu un appel ce matin du directeur de cabinet du ministre des outre-mer.
Cette exonération de TVA sur certains articles (12 000 produits au lieu de 6000) représenterait une économie de 4 millions d’euros. L’exonération serait échelonnée en prenant en compte l’importation et la production locale.
Octroi de mer et TVA confondus représentaient une économie de 10 millions d’euros.
Un arrêté de la sorte existe déjà depuis 2019. Un intervenant de la douane explique que, si le feu vert est donné, l’application peut être réalisée en une semaine.
Les prix exports
Patrick Fabre, PDG du groupe CréO (« Pli Bel Price », « Megastock », « Thiriet »…), se présente comme « discounter ». Il laisse sous-entendre que certains grands groupes ne négocient pas assez pour avoir des prix exports.
Le préfet indique qu’il faudra repasser par là et rediscuter les prix exports.
Les marges arrières
Les différents intervenants abordent alors les « marges arrières ».
Serge Letchimy interroge les acteurs de la grande distribution : « Êtes vous disposés à supprimer vos marges arrières ? »
Stéphane Hayot répond :
Les marges arrières sont intégrées dans nos prix
Poussé par Serge Letchimy, Stéphane Hayot conclut que, s’il y a une loi sur les marges arrières, les distributeurs devront faire avec et l’appliquer.
Un représentant de la DIEECTE nuance les choses. Selon ses dires, une loi ne peut pas être appliquée car « nous ne sommes pas dans une situation exceptionnelle, genre pandémie ».
Serge Letchimy indique qu’il ne délibérera pas si la grande distribution ne fait pas un geste.
Lucien Saliber prend la parole. Il demande à Christophe Bermont, le directeur des hypermarchés du Groupe Bernard Hayot pourquoi les groupes de la distribution alimentaire ne déposent pas leurs comptes et leur bilan, pourquoi ils ne déclarent pas leurs bénéfices ?
Ça travaille à l’opacité et renforce la crise sociale actuelle.
Christophe Bermont avoue qu'ils vont désormais réfléchir à déposer leurs comptes pour plus de transparence.
Les membres du RPPRAC annoncent vouloir quitter la table pour faire une pause et « faire le point avec le peuple en bas ».
Aude Goussard est remontée.
Messieurs de la grande distribution, vous vous moquez du peuple. On n’est pas dans des négociations de bureau. Vous êtes messieurs face au peuple !
Le dispositif détaillé
François Huygues-Despointes, groupe Safo, prend la parole et présente, enfin, « le dispositif ».
Le RPPRAC accepte de rester et d’écouter.
La grande distribution évoque le rééquilibrage possible sur des produits et non pas sur l’ensemble. Elle propose de baisser leur marge en valeur.
S’il y a une diminution des frais d'approche, elle s’engage à répercuter cette baisse sur les prix finaux.
Robert Parfait, assure, de son côté, ne pas pouvoir baisser les prix de tous les produits.
Une simulation sans octroi de mer, sans TVA et frais d approche est présentée. Robert Parfait tente de faire preuve de pédagogie. La baisse serait de 17 à 20%, par rapport au prix actuel.
La grande distribution présente ses engagements, sous conditions de l’exonération d’octroi de mer.
Serge Letchimy rétorque que ce n est pas possible. Il demande quelles sont les vraies propositions ?
Stéphane Hayot, directeur général de GBH, après avoir laissé planer ses interrogations sur les solutions pour la baisse des prix, lance au préfet que, s’il y a continuité territoriale, il pourrait, alors, proposer des prix au niveau de l’Hexagone.
La grande distribution travaille sur un dispositif depuis deux ans et que nous poussons ces idées car elles nous semblent bien. On pense que c’est important de trouver tous les moyens possibles pour baisser ces produits qui font partie de la consommation. On est prêts à baisser nos marges en valeur. Et l’ensemble de la profession va baisser ces marges en valeur. Cela représente une enveloppe de 5 à 7 millions d’euros pour les distributeurs.
À ÉCOUTER Stéphane Hayot, au micro de Jessica Dantin-Haustant
La réunion technique est suspendue 30 minutes.
Le Rassemblement pour la protection des peuples et des ressources afro-caribéens décide de faire un point sur les discussions qui avancent au ralenti.
Pour Aude Goussard, la secrétaire du RPPRAC, il faut rester ferme face à des interlocuteurs qui ont du mal à faire évoluer leur discours.
À ÉCOUTER Aude Goussard au micro de Jessica Dantin-Haustant
L'autonomie alimentaire
La réunion reprend. Il est question de l’autonomie alimentaire.
Le Poséi (Programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité) serait étendu pour permettre une diversification des cultures agricoles.
Charles Larcher, le président de l’Association Martiniquaise pour la Promotion de l’Industrie (AMPI) prend la parole pour défendre la production locale.
Selon lui, il faudrait passer à la rédaction d’un protocole, d’un document multipartites qui sera remis au gouvernement pour sceller les axes prioritaires et engagements pour assurer la baisse des prix
Pour lui, la proposition de suppression de l’octroi de mer de la CTM est intéressante pour faire rentrer la matière première nécessaire.
Rodrigue Petitot interpelle Charles Larcher sur le fait que la grande distribution en important l’eau, les yaourts (etc..) a fragilisé la production locale au lieu de la soutenir il y a quelques années.
Un calendrier fixé
Pour finir, Serge Letchimy souhaite que quelque chose de durable soit proposé au gouvernement, même s’il n y a pas la majorité à l’Assemblée Nationale.
À ECOUTER Serge Letchimy, au micro de Jessica Dantin-Haustant
Le président du conseil exécutif propose que la table ronde se retrouve demain (vendredi 27 septembre) à 15h, pour lire et affiner le document d’engagement des acteurs.
En fin de semaine prochaine, une nouvelle rencontre sera programmée pour acter les choses.
Après 9h10 d’échanges et de discussions, le RPPRAC se montre favorable au calendrier mais affirme qu’il reste mobilisé.