Disparition de l'historienne Françoise Thésée, amie proche d'Aimé Césaire et de Wilfredo Lam
Par Jean-Philippe LUDON, @jpludonrci
11/01/2017 - 02:32
• Mis à jour le 18/06/2019 - 15:16
Martinique
Décédée à l'âge de 98 ans, le 2 janvier 2017 en métropole, les obsèques de l'historienne Françoise Thésée seront célébrées ce mercredi 11 janvier à midi (heure de Paris) au funérarium de Clamart, en région parisienne. Veuve du docteur Auguste Thésée, amie intime d'Aimé Césaire, de René Ménil et de nombreux autres intellectuels dont le peintre cubain Wilfredo Lam, elle cultivait l'art de faire parler les documents historiques comme ceux des "Ibos de l'Amélie".
A l'aube de la nouvelle année, l'historienne Françoise Thésée
s'est éteinte le 2 janvier 2017 en France hexagonale. Elle était âgée de
98 ans. Née Benoit en 1919, elle avait épousé un médecin martiniquais du
nom d'Auguste Thésée.
Docteur en histoire, elle s'était passionnée pour l'histoire coloniale des Antilles et en particulier de la traite et de l'esclavage. Auteur de nombreux ouvrages, cette amie d'Aimé Césaire, belle-sœur de René Ménil, avait publié plusieurs études sur la période précitée.
C'est d'ailleurs chez son beau-frère René Ménil qu'elle m'avait reçu pour nous présenter son ouvrage paru en 1986 sur "Les Ibos de l'Amélie. Destinée d'une cargaison de traite clandestine à la Martinique (1822-1838)".
Le récit du chargement sur un navire négrier, l'Amélie, de près de 250 Noirs Ibos à Boni (Afrique), la traversée Atlantique et l'arrivée en Martinique où ils ne pourront pas débarquer. Puis, au terme d'un périple en mer des Caraïbes parsemé d'embuches, ils obtiendront enfin l'autorisation de débarquer en Martinique.
J'ai en mémoire la voix douce et suave de Françoise Thésée faisant le récit du sort de ces Ibos. Un drame d'autant plus insupportable que l'interdiction du commerce des nègres, autrement dit la traite d'esclave avait été rendue illégal par la convention de Vienne de 1815.
"Françoise Thésée nous fait une belle présentation d'un ensemble de documents qui n'étaient connus jusqu'ici que de quelques initiés et ce n'est pas dévaloriser son travail que de dire qu'il se lit un peu comme un roman d'aventures", écrivait l'historien martiniquais récemment disparu Léo Elisabeth dans une note de lecture paru en 1987 dans la Revue française d'histoire d'outre-mer.
Pour sa part, le libraire Gilles Alexandre, qui a bien connu Françoise Thésée, retient ce souci de l'historienne de coller au plus près des documents historiques qu'elle savait dénicher. A l'instar de ceux qui lui ont permis de publier aux Editions Karthala "Le général Donzelot à la Martinique" et qui décrivent entre autres une révolte des esclaves au Carbet.
Et pour Gilles Alexandre, elle ne s'est pas contentée des documents historiques car "elle a aussi refait le trajet de ces esclaves sur les hauteurs du Carbet lors de leur révolte".
Françoise Thésée aux côtés de René Ménil et de Gilles Alexandre © DR
Selon l'écrivain guadeloupéen Daniel Maximin, il est arrivé à Auguste Thésée, le mari de Françoise et médecin proche des Césaire, de jouer du piano au Bal nègres à Paris avant la guerre de 1939. A cette époque, le couple connaît déjà Wilfredo Lam.
Et quand le peintre cubain devra quitter la France avec d'autres intellectuels français devant l'avancée des nazis, c'est chez les Thésée à Chatillon que seront stockées ces toiles après un passage chez Picasso.
Après la guerre, Lam offrira deux de ses toiles à Françoise et Auguste Thésée : "Portrait de femme" et "Deux personnages". Plusieurs années plus tard, en juin 2003, Françoise Thésée en fera don à son tour au conseil général et plus largement à la Martinique.
Deux œuvres qui seront également présentées dix ans plus tard, à l'exposition Césaire, Lam et Picasso, à la Fondation Clément au François.
Deux œuvres enfin comme le témoignage d'une femme engagée, de son amour pour la Martinique, son histoire et sa nature. Ses séjours à la Martinique étaient souvent ponctués de ballades à travers l'île avec Aimé Césaire où, appareil photo en main, Françoise Thésée multipliait les prises de vue.
Jean-Philippe Ludon
@jpludonrci
Quelques ouvrages de Françoise Thésée :
"Les Ibos de l'Amélie. Destinée d'une cargaison de traite clandestine à la Martinique (1822-1838)". --- Paris, Éditions Caribéennes, 1986. ---139 p.
"Le général Donzelot à la Martinique. Vers la fin de l'Ancien Régime colonial (1818-1826) --- Paris, Éditions Karthala, 1997
"Auguste PLÉÉ, voyageur naturaliste (1786-1825) --- L'Harmattan
"Le jardin botanique de Saint-Pierre, Martinique (1803-1902)
Docteur en histoire, elle s'était passionnée pour l'histoire coloniale des Antilles et en particulier de la traite et de l'esclavage. Auteur de nombreux ouvrages, cette amie d'Aimé Césaire, belle-sœur de René Ménil, avait publié plusieurs études sur la période précitée.
C'est d'ailleurs chez son beau-frère René Ménil qu'elle m'avait reçu pour nous présenter son ouvrage paru en 1986 sur "Les Ibos de l'Amélie. Destinée d'une cargaison de traite clandestine à la Martinique (1822-1838)".
Le récit du chargement sur un navire négrier, l'Amélie, de près de 250 Noirs Ibos à Boni (Afrique), la traversée Atlantique et l'arrivée en Martinique où ils ne pourront pas débarquer. Puis, au terme d'un périple en mer des Caraïbes parsemé d'embuches, ils obtiendront enfin l'autorisation de débarquer en Martinique.
J'ai en mémoire la voix douce et suave de Françoise Thésée faisant le récit du sort de ces Ibos. Un drame d'autant plus insupportable que l'interdiction du commerce des nègres, autrement dit la traite d'esclave avait été rendue illégal par la convention de Vienne de 1815.
"Françoise Thésée nous fait une belle présentation d'un ensemble de documents qui n'étaient connus jusqu'ici que de quelques initiés et ce n'est pas dévaloriser son travail que de dire qu'il se lit un peu comme un roman d'aventures", écrivait l'historien martiniquais récemment disparu Léo Elisabeth dans une note de lecture paru en 1987 dans la Revue française d'histoire d'outre-mer.
Pour sa part, le libraire Gilles Alexandre, qui a bien connu Françoise Thésée, retient ce souci de l'historienne de coller au plus près des documents historiques qu'elle savait dénicher. A l'instar de ceux qui lui ont permis de publier aux Editions Karthala "Le général Donzelot à la Martinique" et qui décrivent entre autres une révolte des esclaves au Carbet.
Et pour Gilles Alexandre, elle ne s'est pas contentée des documents historiques car "elle a aussi refait le trajet de ces esclaves sur les hauteurs du Carbet lors de leur révolte".
Françoise Thésée aux côtés de René Ménil et de Gilles Alexandre © DR
Le don à la Martinique de deux tableaux du célèbre peintre cubain Wilfredo Lam
Femme libre, femme d'engagement, Françoise Thésée partageait avec ses deux sœurs d'avoir épousé chacune des personnalités martiniquaises, René Ménil et Jules Monnerot. Mais aussi une vie pleine de riches rencontres avec des intellectuels de renom dont Césaire et Lam.Selon l'écrivain guadeloupéen Daniel Maximin, il est arrivé à Auguste Thésée, le mari de Françoise et médecin proche des Césaire, de jouer du piano au Bal nègres à Paris avant la guerre de 1939. A cette époque, le couple connaît déjà Wilfredo Lam.
Et quand le peintre cubain devra quitter la France avec d'autres intellectuels français devant l'avancée des nazis, c'est chez les Thésée à Chatillon que seront stockées ces toiles après un passage chez Picasso.
Après la guerre, Lam offrira deux de ses toiles à Françoise et Auguste Thésée : "Portrait de femme" et "Deux personnages". Plusieurs années plus tard, en juin 2003, Françoise Thésée en fera don à son tour au conseil général et plus largement à la Martinique.
Deux œuvres qui seront également présentées dix ans plus tard, à l'exposition Césaire, Lam et Picasso, à la Fondation Clément au François.
Deux œuvres enfin comme le témoignage d'une femme engagée, de son amour pour la Martinique, son histoire et sa nature. Ses séjours à la Martinique étaient souvent ponctués de ballades à travers l'île avec Aimé Césaire où, appareil photo en main, Françoise Thésée multipliait les prises de vue.
Jean-Philippe Ludon
@jpludonrci
Quelques ouvrages de Françoise Thésée :
"Les Ibos de l'Amélie. Destinée d'une cargaison de traite clandestine à la Martinique (1822-1838)". --- Paris, Éditions Caribéennes, 1986. ---139 p.
"Le général Donzelot à la Martinique. Vers la fin de l'Ancien Régime colonial (1818-1826) --- Paris, Éditions Karthala, 1997
"Auguste PLÉÉ, voyageur naturaliste (1786-1825) --- L'Harmattan
"Le jardin botanique de Saint-Pierre, Martinique (1803-1902)