« Promis le ciel », le trio Delgrès affiche sa créolité au présent dans son nouvel album

Par 29/02/2024 - 10:28 • Mis à jour le 29/02/2024 - 13:30

Après "Mo Jodi" en 2018 et "4 :AM" en 2021, le trio Delgrès, composé du Guadeloupéen d'origine Pascal Danaë (guitare et chant), de Baptiste Brondy (batterie et percussions) et de Rafgee (cuivres) revient en ce mois de février 2024 avec son troisième album "Promis le ciel". Une œuvre de nouveau résolument ancrée dans la créolité, présentée comme le troisième volet d'une réflexion autour des "identités floues".

    « Promis le ciel », le trio Delgrès affiche sa créolité au présent dans son nouvel album

Avec "Promis le ciel", Delgrès fait du Delgrès. Le groupe qui identifie son style comme du “blues créole” s'inscrit dans la continuité de ce qui a fait son succès jusqu'ici, avec des morceaux intenses et puissants, associant le Français, l'Anglais, mais surtout le Créole évidemment. Sa trajectoire musicale est d'ailleurs intimement liée à celle de son chanteur, Pascal Danaë, Guadeloupéen d'origine qui a grandi dans l'hexagone. Il a accordé un entretien à RCI en marge de la sortie de ce troisième album. 

RCI : "Promis le ciel" est sorti le 16 février dernier et a reçu des critiques très positives jusqu'ici dans la presse nationale ou spécialisée, c'est un très bon lancement.

Pascal Danaë : "Cela fait vraiment plaisir, car les albums se suivent et ne se ressemblent pas forcément, même si ça reste du Delgrès. C'est agréable de voir que ceux qui ont aimé Delgrès au début sont encore là et nous suivre dans nos cheminements et nos évolutions."

Album Delgres

RCI : Vous parlez beaucoup de triptyque, qu'est-ce que raconte ce troisième album ?

P.D. : "L'histoire de celui-ci, par rapport aux autres albums, c'est une espèce d'odyssée. Le premier se passait loin dans l'espace et dans le temps, puisque c'était 1802 en Guadeloupe. Le deuxième se passe plus près de la métropole dans les années 60, donc on se rapproche. Le troisième, je pense que c'est l'album de l'ici et maintenant. Les notions de voyage et de déplacement s'arrêtent un peu. On regarde le monde et comment on s'ajuste à l'état de ce monde, comment on arrive à rester humain et digne, et garder l'espoir malgré ce qu'on regarde autour de nous."

RCI : L'identité du groupe est très liée à la votre, comment associez-vous cette histoire personnelle dans le processus de création ?

P.D. : "Tout cela part de mon histoire personnelle, de mes origines. Cette Guadeloupe un peu fantasmée, car je n'y suis pas né, je n'y ai pas grandi. J'ai vécu tout cela à-travers les histoires de mes parents, il y a une mythologie guadeloupéenne pour moi. Ce qui est génial c'est que ce qui se passe avec Delgrès me permet de renouer avec tout cela, de faire un travail de mémoire, de consolidation de mes racines. Je constate à chaque album que j'attaque différents chapitres de ce que je peux ressentir. L'autre chose qui est géniale c'est qu'en partant de cette histoire très personnelle, j'arrive à faire quelque chose en communion avec Baptiste (Brondy, NDLR) et Rafgee, qui ne sont pas Guadeloupéens, mais qui se retrouvent dans la musique et aussi dans les thèmes. Mes émotions d'Ultramarins ont des valeurs humaines et peuvent être partagées avec le monde entier."

RCI : Nous avons le sentiment qu'il y a une forte dynamique autour de la création liée à la créolité, dans la musique comme dans d'autres formes d'art, avez-vous aussi cette impression ?

P.D. : "Je le ressens tout à fait. J'ai eu l'occasion de retourner en Guadeloupe en novembre, puisque j'ai été invité à parler dans un festival de cinéma, autour duquel se retrouvait un tas de personnes d'origines guadeloupéenne, haïtienne, martiniquaise, guyanaise... Il y avait des forces extrêmement puissantes de gens qui évoluaient autour de la créolité de manière très diverses et riches. C'est ce que je vivais, mais j'étais ravi de voir à quel point cela touchait tout un tas de domaines. On constate que la créolité est un puits extrêmement riche et varié avec des possibilités très grandes. Le travail qu'on fait avec Delgrès est loin d'être isolé, il y a tout un tas de gens qui font le même genre de chose dans leur domaine."

RCI : Est-ce une fierté de participer à cela ?

P.D. : "Absolument. Qu'est-ce qui nous a le plus manqué aux Antilles lié à notre histoire ? C'est la dignité, la fierté, pouvoir nous retourner et être fiers de nos ancêtres et de nos racines. Tout ce travail, de toutes ces personnes, chacun met sa petite pierre pour que nos enfants, nos petits-enfants puissent se retourner vers leur passé et, non seulement être fiers, mais le ressentir au plus profond d'eux-mêmes. C'est une construction qui se fait avec le temps, car il y a eu un traumatisme énorme et quelques centaines d'années, c'est pas beaucoup pour un peuple. Il faut laisser le temps de se construire, il y a de belles choses qui se font, il y a plein de gens qui le font déjà, mais j'aime à penser que ça deviendra quelque chose d'un peu plus général aux Antilles."

RCI : Vous avez plusieurs dates dans l'hexagone au mois de mars, est-ce que des concerts aux Antilles sont à prévoir ? 

P.D. : "On espère au mois d'avril, on y travaille super fort, car c'est incontournable. Moi j'ai besoin d'aller là-bas et de me ressourcer. Surtout de discuter avec les compères du Gwo Ka, les gardiens du temple, parce que j'adore leur manière d'être, cette posture intemporelle. J'aime y retourner régulièrement."

RCI : Est-il nécessaire pour vous de puiser votre inspiration dans ces territoires ? 

P.D. : "Pas forcément. J'ai réussi à faire un truc comme Delgrès, parce que je n'étais pas à l'intérieur. Le fait de mélanger l'huile et l'eau, sans complexe, mettre du rock avec du créole, c'est plus facile de ne pas être totalement immergé dedans. Pour moi, le fait d'y aller, ça participe de mon travail personnel de me réapproprier mes racines, c'est un besoin de reprendre contact avec ça et de me sentir chez moi en Guadeloupe. Je vais renouer et j'adore ce processus, je savoure chaque instant où je reconnecte avec les Antilles." 

RCI : Je retourne ma question, est-il nécessaire pour vous de présenter ce que vous faites dans ces territoires ? 

P.D. : "C'est un besoin. Chacun peut avoir un ressenti différent, mais j'ai eu le besoin d'aller présenter ce que je faisais, ne serait-ce que parce que c'est le seul endroit au monde où tout le monde comprend ce que je dis. C'est extrêmement fort ! Et puis le fait de s'appeler Delgrès, c'est un postulat fort et vous avez envie d'aller présenter ça aux personnes dont c'est l'histoire." 

RCI : Vous êtes attaché au fait de chanter en créole, comme Kalash ou Meryl en ce moment, et cela n'empêche pas d'avoir une reconnaissance nationale. Kassav l'avait fait auparavant, mais on a le sentiment que cette langue est de moins en moins un frein dans l'industrie musicale, qu'en pensez-vous ? 

P.D. : "Kassav a vraiment ouvert la porte à ça, je pense aussi à 'Maldon' de Zouk Machine, il y a eu des grands succès et je ne parle même pas de la Compagnie créole. Ils ont ouvert la porte et il y a eu une période d'oubli, le créole avait un peu disparu des ondes, on devait chanter en Anglais ou en Français, et puis ça revient. Ce que je ressens, c'est qu'on a besoin d'exprimer la spécificité qu'il y a dans cette langue, sa musicalité, sa couleur. Il y a des choses savoureuses et particulières que véhicule cette langue et on a besoin de le mélanger parfois avec le Français. En fait c'est exprimer qui on est de manière totale, c'est une chance, une richesse et je suis très heureux que ça revienne." 


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