Tué au Lamentin par le RAID : l’autre récit de la compagne et de la cousine du jeune abattu « en pleine crise »
[INFO RCI] Le 28 juin dernier, les policiers sont intervenus au Lamentin pour un homme retranché avec sa compagne et leurs deux enfants. Derrière ce fait-divers à l’issue dramatique, c’est aussi la question de la santé mentale et de la prise en charge psychiatrique qui est posée. Témoignages exclusifs.
Deux drames récents ravivent les débats autour de la santé mentale en Martinique. Le 26 juin dernier, à Fort-de-France, une femme schizophrène a été mise en cause dans un homicide.
Quelques jours plus tard, le 28 juin, un homme atteint de troubles similaires est abattu au Lamentin par le RAID, alors qu’il était en pleine crise.
En exclusivité pour RCI, sa compagne et sa cousine reviennent sur ces faits et dénoncent une stigmatisation injuste. Elles assurent que le jeune de 31 ans tué par la police tentait de se faire soigner.
Dans leur douleur, les deux femmes décrivent avec dignité la difficulté des familles, face à des proches malades, et le sentiment d’être laissées à l’abandon.
Il ne m’a jamais séquestrée. Il me gardait avec lui parce qu’il avait peur. Il disait : « je veux qu’on m’aide » (compagne)
À ÉCOUTER Le reportage d’Erika Govindoorazoo
« Mon cousin a toujours demandé des soins »
Vanessa Zongo, sa cousine, raconte l’autre visage du jeune homme abattu au Lamentin. Un homme en souffrance, en quête de soin, pas en guerre contre les siens selon cette proche.
Il faut qu’on arrête de le traiter comme un chien sur les réseaux, de dire qu’un homme a séquestré sa femme, ses enfants. Mon cousin a toujours demandé des soins, il a supplié pour qu’on lui donne des soins et, résultat, il a pris deux balles, uniquement
A ECOUTER Son témoignage poignant
Elle a appris, deux jours avant les faits, qu’il était à nouveau en crise. « Il était agité, il pensait que des gens le pourchassaient ».
Elle regrette qu’il ait été abattu, sans prise en compte de sa maladie.
Quelques heures avant le drame, il avait envoyé des messages d’appels au secours à sa tante, comme le montre cette capture d’écran de téléphone ci-dessous.
La jeune femme dénonce l’absence d’un réel accompagnement et appelle à un traitement digne de la santé mentale.
Les gens ne connaissent absolument rien à la maladie. Les personnes qui sont en demande d'aide, s’ils ne sont pas en crise pour qu'on puisse les emmener directement à Mangot-Vulcin, il n'y a pas de suivi. Des fois, ils sont en crise, il est 23h, on les amène à la Meynard, qu'est-ce qui se passe ? La Meynard les garde 3h, prise de sang et on les relâche avec deux, trois médicaments. Quelqu’un de schizophrène pense que les médicaments qu'on lui donne, ce sont des médicaments pour le tuer. Donc, ils refusent de les prendre. La personne se sent persécutée, en danger dans tout. Même un verre de jus, il ne buvait pas, il ne mangeait pas. Il était apeuré. Mon cousin est mort terrifié, apeuré, triste. C'est comme ça qu'il est parti.
« Le système de soins psychiatrique existe, les dispositifs sont quand même efficaces »
Face à l’émotion, le docteur Rémy Slama, psychiatre et président de la Commission Médicale d’Établissement à l’hôpital Maurice Despinoy, appelle à dépasser les raccourcis. Il souligne que « le système de soins psychiatrique existe » en Martinique, « même s’il ne répond pas toujours à toutes les attentes ».
Il est structuré. Les dispositifs sont quand même efficaces. On a aussi, au centre hospitalier Maurice Despinoy, développer une offre un peu particulière par rapport à cette question du sentiment d’abandon des familles qu’elles peuvent parfois ressentir par rapport à des situations très difficiles. Le problème numéro 1, c’était plutôt le problème de l’arrivée à l’hôpital, avec des demandes faites. Les familles appelaient le Samu. Parfois, c’était difficile de coordonner le Samu, les équipes psychiatriques. Depuis un peu plus d’un an, on a mis en place une équipe mobile de psychiatrie d’intervention de crise qui va permettre de coordonner efficacement ces différents partenaires
Pour lui aussi, , « tout ce qui est souffrance psychique est associé, pour beaucoup, à un sentiment de honte ». Ce qui fait que certains patients peuvent parfois refuser l'aide proposée.
On est obligé de parler de ce qui se passe à l'intérieur de soi, de sa souffrance, de ses frustrations, de sa douleur. Et c'est quelque chose qui n'est pas si admis que ça dans la société. Très vite, on a très peur, compte tenu des représentations très péjoratives que la psychiatrie peut représenter dans la population en général. Évidemment, on va se confronter à l'idée de la stigmatisation, celui-là, il est fou, il a un problème, celui-là est passé à Colson, et finalement, avoir une étiquette indélébile comme une sorte de tatouage qui va vous suivre tout le reste de votre vie. C'est évidemment très ennuyeux. Et puis, finalement, les gens développent aussi un sentiment d'auto-stigmatisation où ils vont se dire : « Mais je ne vaux rien, ça ne va pas, je suis à l'écart, je ne vais pas me mélanger ». Ça participe à la non-demande, à la non-prise en charge. Et ça, c'est quelque chose qu'il faut absolument briser pour que les gens soient plus enclins à parler de leur souffrance.
Entre détresse psychique, saturation du système et gestion des crises, la question reste entière : comment mieux accompagner ces patients à risque dans les instances et la société, sans céder à la peur ni à la stigmatisation ?
A VENIR
Tout au long de la semaine, RCI vous proposera aussi dans ses diverses éditions un éclairage sur le dispositif Profamille qui accompagne les proches des patients atteints de schizophrénie.
Une série de reportages signée Erika Govindoorazoo.
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