[DOSSIER ] Inceste : la difficile reconstruction des victimes
Cette semaine, RCI donne la parole aux victimes d'inceste en Martinique, aux associations qui les accompagnent, aux enquêteurs et aux représentants de la justice. Pour le premier épisode de cette série, Véronique raconte son histoire et sa reconstruction, victime de violence sexuelle intra-familiale lorsqu'elle était enfant.
Depuis les révélations chocs de Camille Kouchner, la parole se libère et le voile se lève peu à peu sur ce qui reste aujourd'hui l'un des grands tabous de notre société. En janvier dernier, cette avocate accuse son beau-père, Olivier Duhamel, d'avoir abusé pendant des années de son frère jumeau : des propos publiés dans son livre intitulé La familia Grande, et publié aux éditions du Seuil. Une confession qui déclenche un raz-de-marée : en quelques semaines, des dizaines de personnalités publiques prennent la parole pour dénoncer à leur tour, les abus incestueux dont elles ont pu être victimes dans leur jeunesse.
En novembre dernier, 6,7 millions de Français déclaraient avoir été victimes d’inceste. On estime que ce mal toucherait environ un Français sur dix : un nombre de victimes que l'on retrouve proportionnellement ici en Martinique.
C'est le cas de Véronique. Cette Martiniquaise de 56 ans a longtemps vécu dans le secret. Quand elle était petite, elle allait souvent dormir chez sa tante : chaque mardi soir, pour soulager sa mère, très marquée après une rupture amoureuse. C'est là que commence le calvaire pour cette fillette âgée d'à peine 11 ans à l'époque, victime des assauts de son cousin.
Ça a commencé par être susurré dans mon oreille, et il me disait que ce qu'il me faisait était bon pour lui, pour nous, mais il ne fallait surtout pas le dire aux autres, il fallait surtout garder ça secret.
Et son calvaire ira de mal en pis : alors qu'elle cesse d'aller chez sa tante, un après-midi, le cousin de son cousin frappe à sa porte et exige ses faveurs. Impossible pour la fillette d'en parler, alors elle se tourne vers la nourriture, son seul exutoire :
Je mangeais des gâteaux à outrance, des fois je volais dans le porte-monnaie de ma maman, j'avais mis en place des stratégies, et j'ai fonctionné, je passais de mec en mec, je n'étais jamais satisfaite. Et un jour, ma fille me demande « maman qu'est-ce qu'on mange ce soir ? » Debout dans un placard, j'avais tout bouffé, et j'ai dit stop.
Bien décidée à changer, Véronique consulte alors une nutritionniste, préalable obligatoire à l’opération de réduction de l'estomac qu'elle souhaite faire : une rencontre qui va tout chambouler. Le médecin recommande à sa patiente de parler, et si au début Véronique refuse, estimant qu'elle n'a subi « que » des attouchements sexuels, elle finit par tout lâcher après trois semaines de consultations, et son poids dégringole « j'ai maigri de 38 kilos » dit-elle.
Au total, il aura fallu à Véronique 39 ans pour sortir du silence. Mais alors que la mère de famille se reconstruit petit à petit, elle apprend que sa fille est elle aussi est victime de viol : une douleur terrible, puis la sidération « malheureusement, je ne sais pas accompagner mon enfant », regrette Véronique. Une révélation qui survient quelques jours à peine avant une agression verbale et physique sur son lieu de travail : la cinquantenaire replonge. Elle se rapproche alors de l'AMEVI, l'Association Mille et Une Victime d'Inceste, et se fait suivre psychologiquement. Un accompagnement en plusieurs étapes, mis en place par le professeur Louis Jehel, chef du service de psychiatrie et d’addictologie au CHU de la Martinique.
La priorité, c'est qu'elle se sente en confiance et en sécurité. Après, il faut identifier la gravité du problème, moi je travaille beaucoup sur l'arbre généalogique, qui me permet quand même de situer l'organisation de la famille de la personne. Ensuite, il peut y avoir un travail thérapeutique qui peut être prolongé par une psychologue, on va pouvoir notamment aider la personne à écrire le script de l'événement auquel elle a été confronté tel qu'il lui revient, et moi je propose en même temps de pouvoir recevoir sa famille, pour voir quelles sont les personnes ressources, les alliances qu'elle a.
Aujourd'hui, cette Martiniquaise est une membre très active de l'AMEVI. Elle a un travail et a réussi à deux examens professionnels grâce à l'association. Mais surtout, elle continue de militer activement et cela passe d'abord par sa fille, qu'elle aide dans sa reconstruction.
Retrouvez le reportage d'Hanna Roseau :
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