Esclavage et réparations : le procès ouvert à la Cour d'appel de Fort-de-France prend fin

Par 12/10/2021 - 20:48 • Mis à jour le 12/10/2021 - 20:52

La deuxième et dernière journée du procès visant à obtenir réparation pour le crime de l'esclavage s'est tenue aujourd'hui (mardi 12 octobre) devant la Cour d'appel de Fort-de-France. Celle-ci rendra son arrêt dans trois mois, le 18 janvier 2022.

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Fin des plaidoiries des parties civiles

La Cour d'appel de Fort-de-France rendra son arrêt le 18 janvier 2022 dans le procès du MIR qui s'est ouvert hier lundi 11 octobre.

Ce procès qui aura duré deux jours vise en effet à demander justice et réparations en faveur des descendants d'esclaves, victimes de la traite négrière et de l'esclavage institutionnalisé par l'Etat, puis aboli en 1848. Ce crime contre l'humanité, reconnu comme tel par la loi Taubira du 21 mai 2001.

Sur le banc des parties civiles, une centaine de requérants dont le MIR, mouvement International pour la Réparation, qui poursuit avec cet appel en procédure civile, un bras de fer juridique entamé en 2005. Les requérants, déboutés à plusieurs reprises, ont finalement obtenu la recevabilité de leur action par la Cour de justice européenne. C'est donc exceptionnellement, et à la demande des requérants, que cette audience s'est tenue sous les objectifs des cameras. 

15 avocats des Antilles Guyane mais aussi des barreaux de Paris ou du Bénin représentaient les parties civiles. Ces derniers ont conclu leurs plaidoiries ce matin, avec l'intervention des avocates du MIR Guadeloupe, maître Aristide et maître Chevry. Cette dernière a avancé un nouvel argument pour les parties civiles : celui de l'épigénétique, une théorie scientifique qui a permis de prouver en 2016 la modification génétique liée au stress notamment et dont les descendants, bien que n'existant pas même à l'état foetal, peuvent être porteurs.

Un argument auquel s'accrochent les parties civiles, présentes dans la salle pour demander des réparations. Une question à propos de laquelle maître Georges Emmanuel Germany, avocat du MIR Martinique, a affirmé :

Tout le monde a le droit à une expertise pour quantifier son préjudice

Avocats tribunal esclavage
15 avocats des Antilles Guyane mais aussi des barreaux de Paris ou du Bénin représentaient les parties civiles. Des chaînes d'origine anglo-saxonne ont été disposées sur une table pour illustrer leurs plaidoiries ©Mj Ferjule

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L'irrecevabilité avancée

Puis les parties civiles ont cédé la parole aux deux avocats de l’État, maître Béatrice Dufresne et maître Patrick Baudouin. D'abord, maître Dufresne a rappelé que la loi Taubira n'a qu'une portée mémorielle. "L'essentiel du dispositif vise à accorder une place conséquente à la traite négrière dans les programmes scolaires, la recherche et les lieux de mémoire", a-t-elle déclaré devant les trois juges en charge de l'affaire. Argument déjà avancé en 2013 par la Cour de cassation qui avait estimé que la loi Taubira n'avait aucune portée normative. 

Deuxième axe avancé par la défense : celui de l'irrecevabilité d'un tel crime. L'avocate s'est d'ailleurs appuyée sur les arguments avancés par le président du Bénin, Barack Obama, ou encore Aimé Césaire ayant déclaré en septembre 2001 lors d'un entretien accordé à l'Express

Je ne suis pas tellement pour la repentance ou les réparations. Il y a même, à mon avis, un danger à cette idée de réparations. Je ne voudrais pas qu'un beau jour l'Europe dise: «Eh bien, voilà le billet ou le chèque, et on n'en parle plus !» Il n'y a pas de réparation possible pour quelque chose d'irréparable et qui n'est pas quantifiable

Et c'est sur ce dernier axe d'irrecevabilité que maître Patrick Baudouin, avocat au barreau de Paris et président d'honneur de la fédération internationale des droits de l'homme (FIDH), a particulièrement insisté :

Ce qu'il faut dire, c'est qu'il y a déjà eu un premier procès qui a rejeté toutes les demandes, qui sont exactement les mêmes que celles formulées aujourd'hui, donc je dis que le MIR ne peut pas à nouveau demander la même chose. Et c'est ce qu'à reconnu le tribunal dans le jugement en première instance. Mais l'essentiel de mon propos est que leur demande d'indemnisation financière à l'encontre de l'Etat français repose sur deux fondements juridiques : le premier c'est la loi Taubira, une loi mémorielle qui a reconnu que la traite négrière et l'esclavage constituaient des crimes contre l'humanité mais qui a expressément écarté la question de la réparation financière. Sur le deuxième point, qui est la réparation fondée sur le droit civil, les faits sont prescrits : c'est la prescription de droit commun 

Côté partie civile, l'avocat du MIR Martinique récuse l'argument de la prescription, comme le souligne maître Georges Emmanuel Germany :

J'ai entendu dire l'avocat de l'Etat français que ce crime est irréparable, et il parlait de tous les crimes irréparables, notamment la Shoah. Après un crime comme le meurtre ou le viol, les juridictions donnent des réparations à ces crimes qui sont irréparables. Donc le débat sur le caractère irréparable d'un crime : oui, un crime, dans la souffrance qu'il provoque, est irréparable parce qu'il ne vous remet pas exactement dans la situation d'avant. Mais tous les crimes sont réparables, et notamment la Shoah, comme l'a dit le Conseil d'Etat dans son avis de 2009

En effet, les personnes ayant été directement impactées par la Shoah entre 1939 et 1945, à savoir les survivants ainsi que les enfants ayant été privés de leurs parents déportés, ont reçu des indemnisations de la part de l'Etat français.

La journée d'aujourd'hui clôt ainsi ce procès en appel. La Cour d'appel de Fort-de-France doit rendre son arrêt dans trois mois, le 18 janvier 2022.

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