Des alertes sur la dangerosité du chlordécone étaient lancées dès 1981
La cellule investigation de Radio France publie ce vendredi une longue enquête détaillée sur les connaissances scientifiques dont disposaient les autorités concernant la dangerosité du pesticide, durant les années où il a été utilisé aux Antilles. Révélations.
C'est un travail de fourmi auquel s'est attelée la cellule investigation du service public de Radio France. En se replongeant dans les travaux de la commission d'enquête parlementaire conclue par Serge Letchimy et Justine Benin en 2019, elle met en avant la connaissance scientifique indéniable de la dangerosité du pesticide, loin de l'interprétation rendue par la justice dans l'ordonnance de non-lieu.
Dans leur décision, les juges Brigitte Jolivet et Fanny Bussac se sont basées sur la prescription, tout en reconnaissant l’existence d’un scandale sanitaire. Évoquant un « monstre chimique » pour qualifier les insecticides à base de chlordécone utilisés aux Antilles pour lutter contre le charançon de la banane entre 1972 et 1993, elles avaient aussi pointé le manque de connaissances scientifiques à l’époque.
Une vision du dossier que la cellule d’investigation de Radio vient un peu mettre à mal. Dans les années 80, des commissions s'étaient penchées sur la question de la dangerosité du pesticide. Dans leur enquête parlementaire, Serge Letchimy et Justine Benin avaient déjà évoqué des archives manquantes.
« Lorsque l’enquête judiciaire débute en 2008, il n’existe plus aucune trace des propos qui ont été tenus en commission des toxiques entre 1972 et 1989, ce qui couvre une période de 17 ans de comptes-rendus », décrit Radio France.
« Un tri assez sauvage »
« Quand le ministère a transféré ses documents aux archives nationales, il y a eu un tri assez sauvage », décrit ainsi Pierre-Benoît Joly, qui a signé le rapport intitulé la Saga du chlordécone, en 2009, à la demande du gouvernement, sans avoir eu, non plus, accès à l’ensemble de ces documents.
Pour remplir les manques du dossier, les journalistes du service public ont interrogé l'une des membres d'une commission des toxiques de 81. Isabelle Plaisant le dit clairement : à l'époque, l'Organisation Mondiale de la santé avait alerté sur la dangerosité du chlordécone et un rapport sur la présence du pesticide chez les animaux en Guadeloupe avait même été évoqué.
Par ailleurs, elle pointe la présence de membres de l'Union de l'industrie des produits pesticides autour de la table, pourtant absents des fiches du journal officiel, membres qui ont voté lors des délibérations. Ces lobbys auraient-ils orienté les travaux et conclusions de ces commissions? La question reste entière, mais ces révélations illustrent bien toute la complexité de ce scandale du chlordécone. La dangerosité du chlordécone était bien connue, visiblement, mais les archives qui en attestent font encore cruellement au dossier.