[DOSSIER] Enseignants contractuels dans le public : un statut précaire qui ne fait pas rêver
Cette année, 380 contractuels renforcent les besoins de l’Académie de Guadeloupe dans l’enseignement du second degré. Soit 10% des effectifs. Un personnel essentiel face à des postes vacants pour diverses raisons. Pourtant, non titulaire et non-fonctionnaire, être un contractuel n’est pas un statut rêvé.
Un enseignant contractuel est un enseignant recruté par l'Éducation nationale pour occuper un poste de manière temporaire, en l'absence de titulaires disponibles. Contrairement aux enseignants titulaires, qui sont recrutés par concours et bénéficient d'un statut de fonctionnaire, les enseignants contractuels sont engagés sur la base d'un contrat de travail à durée déterminée (CDD) ou, dans certains cas, à durée indéterminée (CDI).
« On est tributaire du rectorat »
Les enseignants contractuels peuvent être embauchés pour une durée de quelques mois à plusieurs années, selon les besoins, pour pallier les pénuries de personnel ou les absences prolongées dans les établissements scolaires. Ils assurent les mêmes missions que les titulaires à savoir la préparation des cours, la correction des examens, et parfois même ils assurent le rôle de professeur principal. Pourtant, ils n’ont pas toujours accès aux mêmes avantages en termes de progression de carrière, de rémunération ou de mobilité professionnelle.
Nous avons recueilli des témoignages de plusieurs contractuels qui ont souhaité rester anonymes par crainte de représailles. Parfois en poste ou en attente d’être sollicités, ils souhaitent rester discrets. Il faut dire que certains se sentent considérés comme des bouche-trous et en situation précaire :
C'est totalement précaire parce qu'on est vraiment tributaires des besoins du rectorat. C'est-à-dire que je peux travailler aujourd’hui et ne pas être rappelé ensuite. Quand j'étais à Marie-Galante, j'ai travaillé trois ans d'affilée. J'avais des postes du début à la fin de l'année et ensuite, je suis revenue en Guadeloupe, j'ai eu un poste pareil quasiment à l'année, mais l'année d'après, je n'ai pas eu du tout d'affectation. Donc là, le fait, en plus de ne pas avoir d'affectation pendant un an, c'est repartir de nouveau à zéro.
Cette contractuelle que nous appellerons Cynthia* s’est donc finalement tournée vers un établissement d’enseignement hors contrat à défaut d’être de nouveau appelée par le Rectorat pour enseigner dans le public.
Non seulement les sollicitations sont aléatoires, mais elles sont aussi bien souvent apprises sur le tard.
Il faut savoir qu'on nous appelle rarement à la fin du mois d'aout. Et rarement avant le 15 septembre. Donc, on attend, on relance énormément les gestionnaires pour annoncer nos disponibilités, etc. Et le contrat débute à partir du 15 septembre, voire le mois d'octobre. On n'a pas automatiquement les contrats à l'année. Il faut savoir que si on nous appelle après le mois d'octobre, les contrats se terminent en cours d'année ou au mois de juin.
Des sollicitations sur le tard et pour des zones d'enseignement parfois éloignées, comme en témoigne Aurélie.
Le tout premier poste que j'avais eu, on m'avait appelé le mercredi et ils m'ont envoyé à Saint-Martin et ils voulaient que je sois là le vendredi. J'ai dit non.
Un refus motivé, notamment par la non-prise en charge du billet ni même du logement sur place.
Tu dois te débrouiller pour payer ton billet, trouver un logement, etc.
Quand les titulaires peuvent, eux, prétendre à des logements de fonction, notamment dans les Îles du Sud.
Parfois aussi, certains titulaires peuvent avoir droit à des logements de fonction ou un accompagnement, par exemple pour Marie-Galante alors que les contractuels se débrouillent.
Une question du logement pour laquelle l’Académie de Guadeloupe réfléchit désormais à des solutions. Dominique Bergopsom, secrétaire général du rectorat :
Nous avons besoin de développer une politique de conventionnement de logements pour pouvoir garantir la disponibilité des logements lorsqu'on a l'enseignant. On veut développer ça, notamment dans les Îles du Nord, sur Saint-Martin, Saint-Barth est un cas à part. Nous voulons conventionner avec des bailleurs où l'académie s'engagerait à payer un logement à l'année. Donc au lieu que ça soit l'enseignant qui aille chercher le logement, ce serait le logement qui attendrait déjà l’enseignant.
Une possibilité donc ouverte aux enseignants titulaires comme aux contractuels.
Un système de paiement particulier
Mais la problématique du logement n’est pas la seule. En plus des embauches sur le tard auxquels font face les contractuels, cela entraîne parfois des paiements saccadés avec un système d'acomptes loin d'être avantageux et des retards de paiement comme le rappellent celles que nous avons interrogées.
Lorsqu'on débute, on n'a pas un salaire complet. Au premier mois, on a un acompte qui est régularisé par la suite, se rappelle Sarah.
Il peut y avoir des retards de paiement effectivement. L'année dernière, les contractuels, ils avaient encore un problème au rectorat, donc j'ai commencé en septembre. Normalement, je suis censée être payée en septembre. Mais là, non, on m'a payée en octobre.
Ces retards de paiement qui accentuent la précarité des contractuels. Cynthia, maman s’est retrouvée dans une situation qu’elle décrit comme « très difficile ».
Il faut vraiment se battre. La première année, je ne savais pas comment ça se passait et on m'avait simplement conseillé de contacter l'assistance sociale. L'assistance sociale proposait des bons alimentaires, puisque j'avais dit que je n'avais pas de sous pour mettre de l'essence pour aller travailler, tout simplement. J'avais un loyer, j'avais un enfant, etc. Ils m'avaient donné des bons alimentaires, pour faire des courses directement à l’Assainissement. Mais c'est très, très, très difficile.
Le peu d’heures de cours attribués peut également s’avérer être un problème. Aurélie :
La première année, j'ai eu un poste de novembre à juin. Du coup, je suis restée à Saint-Martin parce que normalement, il y a une grosse demande dans ma matière. L'année d'après, ils m'ont donné un poste à mi-temps, c'est-à-dire qu'ils m'ont fait me déplacer pour aller à Saint-Martin. J'avais 12 heures. Et quand j'ai appelé pour dire qu'il fallait un complément, ils m'ont donné un petit acompte, mais ce n'était pas phénoménal ce que je touchais. Ils m'ont fait bien comprendre que je suis contractuelle, donc qu’ils ne pouvaient pas inventer des heures pour moi, que j’avais avait accepté, je devais me débrouiller.
Et c’est sans compter les paiements d'heures supplémentaires, notamment dans le cadre d'écoles ouvertes, que certains contractuels peinent à percevoir.
Pour ça, ça fait dix ans que je suis dans l'enseignement. Je cours après les établissements pour les obtenir, je n'obtiens pas mon paiement. Tout simplement, donc j'ai arrêté de faire les écoles ouvertes.
Livrés à eux-mêmes
A tout cela s'ajoute la problématique de la formation des contractuels. Car contrairement aux titulaires qui ont fait des stages et ont reçu un accompagnement, les contractuels ne sont pas forcément issus de formations de l'enseignement et doivent parfois se débrouiller seuls.
En tant que contractuel, on nous lâche dans le grand bleu et on se débrouille. Ma première expérience, j'arrive au collège, je n'avais pas de manuel, je ne savais pas ce qu'était Pronote et il fallait faire. Il n'y avait pas de formation.
Il n'y a pas vraiment d'accompagnement. C'est toi qui dois faire la demande de formation. On peut t'envoyer sur n'importe quel niveau, n'importe quelle classe, n'importe quel établissement et c'est à toi de dire oui ou non.
Emmanuel Roublot, secrétaire adjoint FSU, souligne le manque de formation qu’il peut y avoir :
Quand vous êtes contractuel, vous êtes souvent mis sur un poste sans aucune formation. Et contrairement au recrutement par concours et avec des titulaires qui, eux, lorsqu'ils sont titularisés, sont stagiaires etc.. et donc ont des formations qui leur sont données. Là, lorsque vous êtes contractuel, vous êtes directement mis en poste sans aucune formation.
Un manque de formation et des cours attribués parfois éloignés des formations initiales des contractuels. L’une des femmes interrogées, professeure de français, s’est retrouvée à enseigner de l’histoire géographie. Une autre, de la technologie, bien loin de sa formation initiale.
Des efforts à faire au Rectorat
Pourtant tous ces écueils semblent-être bien connus par le Rectorat qui a conscience de ces problématiques et entend s'améliorer toujours plus, notamment en ce qui concerne les modes de paiement.
Dominique Bergopsom, secrétaire générale au rectorat.
Il y a une explication qui provient du calendrier de la Direction régionale des finances publiques et du rythme de recrutement. Et il y a une autre non substantielle, il faut le dire, qui relève de nos procédures de gestion, que nous tenions à améliorer. Cette année, les choses se sont remarquablement améliorées. Même si j'en conviens, on a encore un effort substantiel à faire pour que 100% des personnels puissent être payés sans acompte dès le premier mois.
Mais aussi sur la question de retard de documents permettant l'ouverture des droits à France Travail en fin de contrat.
Ce n'est pas normal. Il faut dire les choses très simplement. C'est incorrect. Ça ne correspond pas à nos valeurs et à nos objectifs d'une gestion d'une qualité humaine du personnel. Nous avons vu avec le service comment améliorer ça. Là aussi, avec le service concerné, on a procédé à un état des lieux de manière à faire un examen sans concession de nos procédures et de les ajuster.
Enfin, les syndicats sont eux aussi bien conscients des difficultés rencontrées par ces contractuels.
C'est pourquoi ils aimeraient limiter ce type d'embauche. Emmanuel Roublot, secrétaire général adjoint FSU.
Déjà, nous défendons plutôt l'embauche sous la forme d'un statut, du statut de la fonction publique. C'est beaucoup plus protecteur en termes d'embauche. Lorsqu'on est fonctionnaire, on a un certain nombre de mécanismes qui sont très protecteurs. Ça, c'est le premier point. Le deuxième point, c'est qu'on essaye aussi de faire en sorte de rapprocher l'embauche des contractuels de celle des titulaires.
Emmanuel Roublot, qui invite les contractuels à se rapprocher des syndicats pour les aider à faire valoir leurs droits.
On essaye, nous, d'intervenir pour faire en sorte qu'ils soient considérés aussi bien qu'un titulaire, mais avec de grosses difficultés. Les premières difficultés, c'est que souvent, ils échappent un peu de nos radars parce qu'on ne les connaît pas forcément.
Alors une question se pose, pourquoi ne pas passer le concours pour devenir titulaire ?
La réponse est assez simple tant elle revient dans l’actualité chaque année. Parce qu'en cas de réussite, cela mène à une autre problématique, celle de la mutation des enseignants dans l'Hexagone quand nombre d’enseignants souhaiteraient pour voir enseigner chez eux, en Guadeloupe. Sauf qu’on le sait, choisir son affection après avoir passé le concours, ce n’est pas si évident.
*Les prénoms ont été changés