Déclarations russes sur la Martinique : l'analyse de Fred Constant, professeur en sciences politiques
L'intérêt de la Russie et de l'Azerbaïdjan pour la Martinique est à analyser à l'échelle géopolitique mondiale où la France est une cible pour ces deux états. Les réponses de Fred Constant, professeur des universités.
Interrogée lors d’un débriefing hebdomadaire sur les violences du mois de septembre dans notre île, Maria Zakharova a jugé que, je cite, « Paris n'était pas prêt à un dialogue mutuellement respectueux avec la population autochtone de ses territoires d'outre-mer, préférant s'appuyer sur la force » fin de citation.
La représentante russe a aussi estimé que ces crises sociales dans l’outre-mer français était » une conséquence directe d'un processus de décolonisation inachevé ».
Une prise de position russe qui ne surprend par le professeur des universités en sciences politiques Fred Constant. Auteur de l’ouvrage Géopolitique des outre-mer paru en 2023 aux éditions Le Cavalier Bleu, Fred Constant rappelle que l’outre-mer est aussi concerné par le bras de fer diplomatique qui oppose la France et la Russie
RCI : Comment comprendre cette prise de position russe dans les relations entre la Martinique et la France ?
C'est un nouvel épisode de la guerre d'influence que se livrent la France et la Russie depuis le déclenchement de la guerre russe-ukrainienne. Vous savez que le président Macron a pris des positions très fermes contre la Russie. Je rappelle au passage qu'il y avait déjà eu, vous savez, une tournée de Kémi Séba, cet activiste africain, aux Antilles et en Guyane, sur un financement russe Après que ce même individu ait été dépêché en Afrique de l'Ouest pour fustiger là aussi les formes de la présence française, notamment sur le plan militaire. Ce qui avait entraîné, ce n'est pas lié uniquement à la présence de Kémi Séba en Afrique de l'Ouest, mais ce qui avait entraîné, en tout cas, l'opinion publique à protester avec force afin que les militaires français quittent ces pays. Donc, tout ça est lié et s'inscrit encore une fois, dans une guerre d'influence qui passe par, naturellement, la manipulation de l'information et de l'opinion publique à un moment où, dans ces territoires, il y a des conflits sociaux d'intensité assez élevé
RCI : Comment s'exercent concrètement ces opérations d'ingérence ?
il existe des antennes qui diffusent sur le territoire national des messages qui contredisent les lignes éditoriales des médias occidentaux et qui sont financés par la Russie dans les Outre-Mers, puisque c'est un des terrains sur lesquels s'observent aussi les rivalités géopolitiques entre la France et la Russie, mais d'autres puissances. La Chine aussi se manifeste dans nos Outre-Mers, notamment dans les territoires français du Pacifique. C'est normal qu'on observe ce type de riposte sur nos territoires aussi. Partout où il y a des situations que la Russie peut exploiter pour affaiblir le discours républicain que portent les élites françaises, elle ne s'en prive pas.
RCI : Pourquoi la Russie s'intéresse-t-elle à nos territoires précisément ?
Nos départements ont une valeur géopolitique affirmée qui n'est pas toujours reconnue, en tout cas au principal, en période ordinaire par les autorités politiques françaises. Et on le voit bien que des puissances très éloignées de nos rivages s'intéressent à ce qui s'y passe parce que, dans la logique de leurs intérêts, il faut bien le voir. Ce n'est pas tant, honnêtement, le processus de décolonisation de tel ou tel territoire qui serait inachevé et qu'il s'agirait de conduire à son terme qui les préoccupe, mais plutôt de trouver des angles et des terrains pour affaiblir le discours porté par les autorités françaises, tant au niveau national que dans les enceintes internationales. Et je pense singulièrement ici à la Nouvelle Calédonie, puisque vous savez que l'Azerbaïdjan, qui est un pays proxy de la Russie, soutient très publiquement les mouvements qui sont favorables et qui militent en faveur de l'indépendance de ce territoire