Par Jean-Philippe Ludon, @jpludonrci - Mis à jour le 13/07/2017 à 18:48
12/07/2017 - 20:15
• Mis à jour le 18/06/2019 - 14:42
Haïti
L’auteur de «Les Possédés de la pleine lune » et d’ « Aube tranquille », l’écrivain haïtien Jean-Claude Fignolé, 76 ans, est décédé, mardi 11 juillet 2017. Sa disparition a suscité une grande émotion à Jérémie, la ville qui l’a vu naître le 24 mai 1941, et dans le reste du pays. Le président haïtien Jovenel Moïse salue la mémoire d’un » écrivain de talent et une grande figure intellectuelle ». Jean-Claude Fignolé avait séjourné à plusieurs reprises en Martinique.
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Professeur, journaliste, poète et romancier, intellectuel haïtien engagé, Jean-Claude Fignolé s’est éteint, mardi 11 juillet 2017 à l’âge de 76 ans à Port-au Prince (Haïti). Sa disparition a soulevé une grande émotion à Jérémie, sa ville natale, et aux Abricots dont il fut l’édile de 2007 à 2012.
Mais aussi bien au-delà, y compris en Martinique où il s’était rendu au début des années 90. C’était à l’occasion de la sortie de « Aube tranquille » (1990), son second roman aux éditions du Seuil après « les Possédées de la pleine lune » (1987).
L’histoire d’une religieuse française partie en mission sur l’île où elle sera en butte à une malédiction familiale en lien avec la période de l’esclavage. Histoire déroutante, difficile à appréhender d’emblée. Mais ô combien passionnante une fois s'être fait emporté par elle au prix de ce que l'on peut appeler le plaisir de lire. Un état que connaissent bien les amoureux de la littérature.
Papa doc et la nature martiniquaise
Deux anecdotes me viennent à l’esprit à l’évocation de ce séjour martiniquais de Jean-Claude Fignolé. Circulait en Haïti, une rumeur selon laquelle le dictateur Duvalier, le terrible Papa Doc, serait originaire du nord de la Martinique. Il me parla de Sainte-Marie.
Et l’écrivain, peut-être alors pour nourrir un futur roman, brûlait d’envie d’en savoir plus. Était-ce juste une rumeur ? Où y avait-il du vrai là-dedans ?
Survolant la Martinique avant d’atterrir dans l’île, Jean- Claude Fignolé nous avait confié avoir été particulièrement impressionné par son relief verdoyant. Il lui faisait penser à Haïti quand il était enfant. C’était avant que la déforestation y fasse ses ravages si préjudiciables à cette partie-là de l’île d'Hispaniola.
Faut-il s’étonner que, quelques romans plus tard, devenu maire de la petite commune des Abricots, pas loin de la ville de Jérémie, dans le département de la Grand ‘Anse, il ait sollicité la solidarité des Martiniquais pour participer à une opération de reboisement. La collecte de plants d’arbres pour les Abricots avait été un succès. Des conteneurs pleins avaient été envoyés en Haïti.
Un homme passionné et (parfois) en colère
Jean-Claude Fignolé était encore maire des Abricots quand le terrible tremblement de terre de 2010 secoua Haïti. Sa commune peu touchée, elle l'avait été en revanche par l'afflux de rescapés qu'il avait dû accueillir.
Il était alors revenu en Martinique à la faveur d’une réunion internationale, prélude à une réunion à l’ONU (New-York) des bailleurs de fonds désireux de contribuer au redressement d'Haïti.
C’était deux ans après, le séisme du 12 janvier 2010. Interrogé sur RCI, Jean-Claude Fignolé n’avait pas mâché ses mots comme le montre le document sonore ci-dessous.
Un "homme des grands larges" et exigeant
Homme aux multiples facettes, celles-ci n’occultent en rien son talent littéraire comme en témoignent les réactions enregistrées depuis l’annonce de son décès.
« Jean-Claude Fignolé s’était créé une place de choix dans les milieux intellectuels haïtiens avec son œuvre romanesque remarquable dont l’originalité et la pertinence ont été saluées à travers le monde », écrit Jovenel Moïse, le président d’Haïti.
L’édition numérique du Nouvelliste salue à la fois "un homme des grands larges, un grand écrivain, un critique littéraire de grande envergure, un homme exigeant, passionné des causes qu’il avait choisies".
Le Nouvelliste qui publie aussi un texte de l'écrivain haïtien Lyonel Trouillot dans lequel il regrette la perte "encore (d') un autre, un grand, qui s’en va, comme si tarissaient « les dernières gouttes d’homme » d’une génération, (...)"
"Une fois, lors d’un voyage en Martinique, entrant dans la mer, il m’a dit : « Et si nous nagions vers l’infini ? » Je croyais à une plaisanterie. Et puis je l’ai regardé faire. Il paraissait pouvoir nager sa vie… Et j’ai compris que la légende qui voulait l’avoir vu sauver tel officier de la noyade n’était pas fausse".
Pour toutes les blessures qui saignaient encore parce que l’histoire s’est faite contre nous, mais aussi pour toutes les luttes à mener ensembles, pour les joies des matins neufs à redécouvrir, pour la fraternité à construire aux deux bords de la mer Caraïbe par delà « la grande cassure de l’Océan ».