Inceste : trois martiniquaises dont Karine Mousseau libèrent leur parole
Dans un témoignage écrit, trois femmes accusent le syndicaliste Marc Pulvar, aujourd'hui décédé, d'avoir abusé sexuellement d'elles durant leur enfance. L'une d'entre elles est Karine Mousseau, femme politique martiniquaise de premier plan.
C'est peut être la première fois qu'une femme politique martiniquaise de premier plan s'exprime publiquement sur l'inceste et les abus sexuels qu'elle a vécu et auxquels elle a survécu.
Dans un courrier rédigé à six mains avec ses cousines Barbara Glissant et Valérie Fallourd, Karine Mousseau accuse directement une figure du syndicalisme martiniquais d'avoir abusé d'elle sexuellement au cours de sa jeunesse.
Des faits qu'elle avait déjà évoqué sur le service public au mois de janvier dans un sujet consacré au phénomène #metooineceste qui prend chaque jour de l'ampleur. À l'instar de la cheffe d'entreprise, Sandra Casanova qui avait utilisé le hashtag #balancetonporc pour dénoncer les faits de harcèlement dont elle avait été la cible.
"Marc Pulvar (1936-2008), héros martiniquais, pédocriminel et violeur", écrivent d'emblée les trois femmes.
A l’âge de 7 et 10 ans, nos routes ont croisé celle d’un homme. Il était professeur de mathématiques. On l’encense aujourd’hui encore en Martinique, parce qu’il a été un militant, syndicaliste, défenseur des opprimés. Peut-être que cela n’est pas incompatible avec le fait d’être pédocriminel après tout.
L'homme qui jouit encore d'une aura forte dans le monde syndical martiniquais était considéré à l'époque comme l'oncle de la famille, au dessus de tout soupçon.
C’était l’oncle de la famille, le favori, adulé déjà, par tous. Une confiance totale, qui dure encore aujourd’hui de manière posthume, et que nous avons décidé de briser, une fois pour toutes
Les faits relatés par ces trois femmes se sont produits dans les années 80.
Les vacances d’été du tout début des années 1980 ont été pour nous le théâtre de ses exactions, particulièrement le camping sauvage sur l’une des plus belles plages de la Martinique, où il avait la gentillesse de nous emmener, avec la reconnaissance attendrie de nos proches. Dès le départ, une première ruse : nous installer derrière le siège conducteur pour pouvoir de la main gauche commencer ses caresses pendant qu’il conduisait, pas de temps à perdre, en cachette de la personne assise à la place du mort
Les signataires de cette lettre qui fait désormais le tour des réseaux sociaux ont décidé de ne pas mâcher leurs mots. De dire les faits même si leur auteur n'est plus et ne pourra pas être jugé pour des actes pour lesquels il bénéficie de la présomption d'innocence au regard de la loi.
Un courrier qui dépeint parfaitement le poids de la popularité de Marc Pulvar qui pesait sur ses victimes.
Marc Pulvar, le héros, savait parler. Mais quand Marc Pulvar parlait aux petites-filles, il s’y prenait autrement. Et cette histoire là il faut la connaitre. Il leur parlait doucement oui, comme si de rien n’était, pendant qu’il mettait ses mains dans leur culotte, les masturbait.
Le poids de Marc Pulvar a également pesé sur la parole des victimes. Toutes les trois l'écrivent dans ce texte.
Oui, en finir avec le silence, il faut donc parler, mais attention nous dit-on, il faut rester factuel, pour qu’on nous croit d’abord. C’est la première étape, la plus salvatrice. Être crues. En la matière, les faits sont donc importants, ceux-là mêmes que l’on ressasse une vie entière, au détour de rien, à la moindre occasion, à chaque seconde en fait, les faits qui se rappellent à nous, dans la solitude, la honte, la culpabilité qui étouffent
Une parole qui a mis du temps à se libérer car en Martinique sans doute plus que dans de nombreux endroits, les secrets , surtout quand ils concernent la famille et les puissants, sont sus mais rarement exposés à la lumière du jour.
Alors pour les victimes, la vie devient survie à l'ombre de la dépression, des tentatives de suicide et du train de maux qui rythment l'après.
Longtemps il s’est agi surtout pour nous les victimes de survivre. Alors parler n’était pas l’urgence… Il faut se construire d’abord. On avance, et la confiance en l’autre s’installe. Nos rencontres nous ont sauvées. Parler a été possible peu à peu, grâce à ceux, si précieux, capables d’entendre. Finalement, nous nous sommes retrouvées aussi toutes trois.
Une libération de la parole qui pourrait ouvrir la porte à d'autres témoignages et qui rendrait caduque la loi du silence qui règne encore bien trop souvent en Martinique sur les abus que subissent les femmes au quotidien.
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