[VIDEO] Clarisse Taron : « les accusations de justice coloniale me touchent car elles me semblent très injustes »
Alors qu’elle s’apprête à quitter la Martinique dans quelques jours, la procureure de la République à Fort-de-France revient, pour RCI, sur trois ans et demi d’une activité judiciaire intense et éprouvante. Elle livre aussi sa vision des événements sociaux récents et des poursuites judiciaires qui en ont parfois découlé.
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En poste depuis le 1er septembre 2021, Clarisse Taron, procureure de la République de la Juridiction Interrégionale Spécialisée (JIRS) de Fort-de-France, s’apprête à quitter la Martinique dans quelques jours et à laisser la place à son successeur (*).
Un sentiment mitigé à l’heure du bilan
Nommée comme procureure de la République à Strasbourg, elle laisse l’île avec « un état d’esprit contrasté ».
D’un côté, la magistrate, invitée de la rédaction de RCI ce lundi 6 janvier, décrit « un territoire extraordinaire à plein de points de vue, riche et passionnant en termes d’activité pénale ».
Mais, de l’autre, elle évoque un « relatif soulagement » à changer de fonction, parlant d’une « expérience extrêmement difficile » pour diverses raisons : d’abord la surcharge de travail avec un manque souvent rappelé de magistrats face à la délinquance en Martinique ou encore par la « personnalisation » à l’extrême de l’activité judiciaire.
Son regard sur la crise sociale
Oui, il y a une question vie chère et c'était important que les gens et la population s'en empare
Pour autant, face à ce mouvement qu’elle juge « légitime », Clarisse Taron exprime ses « regrets et un sentiment de gâchis sur la façon dont le combat a été mené ».
Elle énonce les plusieurs dizaines de millions de préjudices, le millier de personnes au chômage, les entreprises « en déconfiture ».
On a coutume de me dire que je suis contre les militants et je tiens à dire assez sincèrement que ce n'est pas mon cas, que je trouve que c'est important de militer, que dans un État démocratique, on doit avoir le droit de le faire, mais on doit le faire en respectant les lois de la République et en ne faisant pas plus de tort à ces concitoyens qu'on ne leur fait avoir d’avantages
Les violences, la réponse judiciaire
J'ai été un jour, apostrophée par un militant devant le tribunal qui me dit : « Pourquoi vous nous traitez comme ça ? ». J'étais sur le trottoir, on a discuté 10 minutes et je lui disais : « Si on est militant et qu'on choisit de militer en commettant des infractions, on en assume les conséquences ». Ils ne sont pas les seuls à avoir été poursuivis. Il y a d'autres mouvements de militants dans l’Hexagone. Je pense aux décrocheurs de portraits de Macron qui savaient ou aux Fémen, puisqu'il y a eu des procédures pénales pour exhibition sexuelle (…). Ce sont des gens qui disaient : « Je cours le risque de commettre une infraction pénale parce que je pense que j'ai un discours à faire passer »
Pour Clarisse Taron, la réponse pénale a parfois dû être rapide au regard des faits reprochés.
Dès qu'une délinquance nous paraît sérieuse ou troubler l'ordre public, nous essayons d'apporter une réponse rapide avec, par semaine, trois audiences de comparution immédiate où des gens sont jugés en urgence. Donc ce traitement rapide, on ne l'a pas réservé aux militants, mais effectivement, on les a, pour certains, poursuivis de cette manière parce qu'il nous semblait que l’île étant à feu, je ne dis pas à sang, mais en tout cas à feu et au risque d'être à sang vu les tirs à balles réelles, il nous fallait des réponses rapides (…).
Elle nuance néanmoins la sévérité des peines prononcées à l'encontre des militants, estimant que les sanctions ont été adaptées à la nature des infractions :
Parmi les personnes qui ont manifesté, beaucoup ont eu des réponses pénales tout à fait modérées eu égard, soit à leur rôle en retrait, soit à leur absence d'antécédents judiciaires (…)
Les accusations de « justice coloniale »
Clarisse Taron affirme, avec sincérité, ne pas se reconnaître dans l'étiquette qui ferait de la procureure « la porte-parole d'une justice coloniale ».
On a le droit de dire ce qu'on veut, évidemment, et je laisse aux personnes qui tiennent ces propos-là les tenir (..) mais ça me touche car j’ai le sentiment que c’est très injuste
Une délinquance économique impunie ?
Beaucoup de ceux qui critiquent l’institution judiciaire mettent en avant « une justice à deux vitesses ». Et prennent, souvent en exemple, les dossiers de délinquance économique ou politique qui n’aboutissent pas. Une faiblesse que reconnaît la magistrate, comme ses prédécesseurs avant elle.
« Les enquêtes économiques et financières ou les atteintes à la probité sont des affaires que nous avons du mal à faire aboutir pour plusieurs raisons », principalement le manque de moyens qu’elle détaille ici :
Le fléau de la drogue et des armes
Malgré les progrès en matière de coopération internationale, le trafic de drogue, reste, selon la procureure, « un fléau considérable pour toute la France et la Martinique est aux premières loges ».
Selon elle, le territoire est « une zone d’entrée » voire « une plaque tournante », puisqu’une partie de la cocaïne reste sur le territoire.
Les armes, pour moi, c’est une découverte au vu du nombre et de la gravité des infractions commises avec les armes sur ce territoire. C'est plus d'une par jour. Les vols à main armée, les tentatives d'homicide, les homicides, les violences avec armes, les détentions d'armes se comptent par plusieurs centaines par an
(*) Son successeur est le procureur de Mayotte, Yann Le Bris.
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