A Cuba, le retour des files d'attente interminables aux stations-essence

Par 23/03/2022 - 12:36

À Cuba, le carburant se fait rare dans les stations services. Parfois, il faut attendre jusqu'à 5 heures pour obtenir de quoi mettre de l'essence dans sa voiture.

    A Cuba, le retour des files d'attente interminables aux stations-essence

Certains sont arrivés à l'aube, d'autres soupirent en voyant la longue file de voitures à la station-essence: à Cuba, faire le plein est à nouveau un cauchemar depuis quelques jours, sous l'effet notamment de la faible production au Venezuela, son fournisseur.

Sous un soleil de plomb et face au Malecon, le boulevard côtier de La Havane, des dizaines de voitures font méthodiquement la queue, qui fait deux fois le tour du pâté de maisons autour de la station.

On y voit en majorité des Lada et des Moskvitch, ainsi que des side-cars eux aussi hérités de l'époque soviétique, que les conducteurs poussent pour économiser le peu de carburant qu'il leur reste.

Une deuxième file, près des pompes, rassemble ceux venus avec leur bidon. Quelques policiers et militaires veillent.

Courant avec son bidon plein, un Cubain se dépêche d'aller remplir le réservoir de sa voiture garée plus loin. "Ils ne donnent que 20 litres!", râle-t-il, avant de repartir dans la file dans l'espoir d'en obtenir plus. Il est arrivé à sept heures mais s'estime chanceux: la veille, il avait patienté de 11h du matin à minuit, en vain.

Pour beaucoup, ces scènes rappellent septembre 2019, quand les sanctions américaines avaient bloqué l'arrivée de navires vénézuéliens livrant le pétrole à Cuba. De nombreux automobilistes avaient alors dû passer leurs journées, voire leurs nuits, face aux stations-service.

"Cinq ou six heures" d'attente

Une telle crise, "ce n'est pas la première fois que ça arrive", confirme Enrique Garcia, 44 ans, chauffeur d'une entreprise d'Etat.

"C'est déjà arrivé avant, que l'essence disparaisse et qu'il faille faire la queue en y perdant presque toute sa journée", dit-il résigné, appuyé contre le capot de sa Lada blanche.

Cette fois, "je crois que ça a commencé vendredi ou samedi", raconte Santiago Segueiro, 51 ans, au volant de son taxi. "Samedi j'ai dû faire la queue trois heures et maintenant on va voir combien ça dure".

Il n'est pas très optimiste: "je suis arrivé il y a une demi-heure et d'après ce que je vois, s'il y a assez de carburant pour tout le monde, je vais en avoir pour cinq ou six heures... et s'il n'y en a plus, alors j'aurai fait la queue pour rien".

Prévoyants, beaucoup ont apporté de l'eau et de quoi grignoter. Ojilma Mena, 48 ans, est venue à pied, bidon à la main. "Ma voiture est garée là-bas mais elle n'est pas en bonnes conditions pour démarrer" constamment pendant l'attente.

Elle espère en avoir fini d'ici une heure et pense que la pénurie est liée au conflit en Ukraine: "avec une telle situation mondiale, ce n'est pas une surprise".

Le Venezuela moins généreux

Les autorités cubaines, elles, ont donné peu d'explications jusqu'à présent. Lundi, la province de Matanzas (centre) a annoncé un rationnement du carburant mais le représentant du gouvernement local a assuré qu'il s'agissait d'un "problème transitoire".

"Ce n'est pas le résultat d'un déficit de carburant dans le pays", mais d'un problème de distribution lié à un manque de camions, a-t-il affirmé.

En réalité, pour Jorge Piñon, expert cubain en politique énergétique à l'université du Texas, "une série d'événements ont mené à la situation actuelle", comme la chute de la production nationale de pétrole (-20% depuis 2010).

Le principal facteur? Le Venezuela, fournisseur de brut de Cuba - qui en échange lui envoie des médecins -, se montre moins généreux depuis quelques années.

"Depuis 2016 la fourniture de pétrole brut et de carburants du Venezuela a chuté d'environ 100.000 barils quotidiens à 56.000 en moyenne en 2021", explique l'expert.

Actuellement, "les raffineries du Venezuela opèrent à des niveaux minimaux, par manque d'entretien, et n'ont ni essence ni diesel à envoyer à Cuba", dit-il, notant que Caracas a dû importer du diesel et de l'essence d'Iran, en échange de brut. Et Cuba ne peut payer les cours élevés sur le marché international.

Enfin, les récentes pannes de centrales électriques à Cuba ont augmenté le recours aux groupes électrogènes, grands consommateurs de diesel. C'est justement le carburant des vieilles berlines américaines, qui font la renommée de Cuba mais devront elles aussi attendre des jours meilleurs.

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